vendredi 28 août 2015

Voix de femmes

On m'a offert ce beau livre paru en 2012 aux Éditions Turquoise : il s'agit d'une anthologie de poèmes de femmes illustrée par des photographes femmes. On a tellement l'habitude de voir des anthologies où ne figurent guère que des hommes, puisque la totalité de l'art, c'est encore et toujours eux, que l'initiative est à saluer. Lecture pour soi, ou idée de cadeau pour les autres, la sélection (et la traduction) de poèmes et de photographies de femmes des cinq continents est une splendeur.

Je vous en ai sélectionné trois, selon ma sensibilité et mon arbitraire. De Taslima Nasreen, poétesse bangladeshie, ce poème écrit en 1962, traduit du bengali :

Un mariage de bon augure 
Ma vie,
Un homme hideux s'en est emparé
Comme on s'empare d'une île dans l'estuaire.

Mon corps, il l'a voulu tout à lui.
Si l'envie le prend, il peut me pincer les fesses,
Me cracher au visage, me mettre une gifle,
Si l'envie le prend, il peut déchirer mes vêtements,
Pétrir ma beauté nue.
Si l'envie le prend, il peut m'arracher les yeux.
Si l'envie le prend, il peut m'enchaîner.
Si l'envie le prend, il peut user du fouet.
Si l'envie le prend, il peut me couper les doigts, les mains,
Si l'envie le prend, il peut jeter du sel sur mes plaies
Et de la poudre de piment rouge sous mes paupières.
Si l'envie le prend, il peut me fendre les cuisses à la machette.
Et si l'envie le prend,
Pourquoi ne me pendrait-il pas à la plus haute poutre ?

Il voulait que mon cœur lui soit absolument soumis.
Que je l'aime
Et que la nuit dans la chambre désertée, seule,
Inquiète, sans sommeil,
Je pleure contre la poignée de la fenêtre.
Que je cuise le pain avec mes larmes.
Que j'avale comme nectar tous les jus de mon corps.
Que le désir me fasse fondre comme bougie.
Que je ne lève jamais les yeux sur un autre homme.
Que toute ma vie je lui donne des gages de fidélité.
Et que, pleine d'amour pour lui,
Par une nuit de clair de lune,
Une folle passion me pousse au suicide.
Taslima Nasreen


Un poème de Sappho - Grèce antique, 7è, 6è siècle avant notre ère, traduit du grec ancien par Marguerite Yourcenar. Les poèmes de Sappho ont été détruits et on n'en possède plus que des fragments. Habituel effacement des femmes et de leurs œuvres de l'HIStoire.

Et je ne te reverrai jamais
"... Et je ne reverrai jamais ma douce Attys,
Mourir est moins cruel que ce sort odieux ;
Et je la vis pleurer au moment des adieux.
Elle disait "Je pars. Partir est chose dure".
Je lui dis : "Sois heureuse, et va, car rien ne dure,
Mais souviens-toi toujours combien je t'ai aimée,
Nous tenant par la main dans la nuit parfumée,
Nous allions à ta source et rôdions dans les landes.
J'ai tressé pour ton cou d'entêtantes guirlandes ;
La verveine, la rose et la fraîche hyacinthe
Nouaient sur ton beau sein leur odorante étreinte ;
Les baumes précieux oignaient ton corps charmant
Et jeune. Près de moi, reposant tendrement
Tu recevais des mains des expertes servantes
Les mille objets que l'art et la mollesse inventent
Pour parer la beauté des filles d'Ionie...
Ô plaisir disparu ! Joie à jamais finie !
L'éperdu rossignol charmait les bois épais,
Et la vie était douce et notre cœur en paix..."
Sappho

Les photographies montrent des femmes dans toutes les occasions de leur vie : qu'elles soient aux champs, dans leurs maisons entourées d'enfants, au travail en usine, ou combattantes armées, en Israël par exemple. Celle ci-dessous me paraît bien illustrer la "polyvalence" des femmes, leur qualité de bêtes de somme rendant les "services" basiques et gratuits du maintien du confort de leurs familles, les seuls qui comptent finalement ; la femme et la bête surchargées sont métaphoriques des situations de surexploitation qu'elles subissent. (Un simple clic dessus pour agrandir les images).



Il n'y a pas que des poèmes engagés de femmes dénonçant l'oppression, on trouve aussi Thérèse d'Avila, la mystique chrétienne espagnole, et Hildegarde de Bingen, religieuse, femme de lettre allemande du 12ème siècle, abesse agréée par l'Eglise vu la multiplicité de ses talents. Elles sont 343, des antiques et des contemporaines, des connues et des moins connues, de tous les continents.



"Epuisée la Terre
Epuisés les humains les plantes l'eau les créatures
Epuisées les maisons de tant de destruction
Epuisées les rues du bruit des balles
Epuisés les hommes des hommes
Epuisés les gens de se terrer dans les caves
Épuisés de la solitude du sang
de l'intensité des clameurs
Il est temps que la paix féminine se lève dans les coeurs
Il est temps qu'ils mettent en ordre leur chaos
Il est temps qu'ils préservent la terre de leur spoliation accablante !
Ils sont épuisés et nous aussi
et vous demeurez inconscientes dans vos chuchotis
derrière les bracelets et les voiles épais
Vous êtes pourtant l'univers, la Terre, l'hier
le rêve et l'espoir !
[...]
Levez-vous... Levez-vous
les flots de l'obscurité ont atteint
les cîmes !

Bénie soit la Terre
lorsque les femmes se lèveront !"
Hamda Khamis - Poétesse barheïnie, traduite de l'arabe par Rania Samara.

Critiques de l'ouvrage chez L'autre Livre, Paris-Match.

3 commentaires:

  1. Magnifiques photos, magnifiques poèmes. Celui de Taslima Nasreen fait mal, celui de Sappho est inqualifiable de beauté, celui de Hamda Khamis, on aurait envie de l'écrire partout, sur tous les murs.
    Merci pour le partage de cette merveilleuse découverte !

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  2. Merci de ton commentaire. Effectivement, c'est pour ça que je les ai choisis. Disons qu'ils me sont tombés juste sous la main, en feuilletant :))

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  3. bonjour, je suis présidente d'une asso féministe lesbienne, je souhaiterais prendre contact avec vous pas mail au sujet d'un de vos articles en particulier et vous proposer de le relier sur notre site, si vous êtes intéressé, vous pouvez m'écrire sur contact@onlygirls.fr

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