dimanche 25 juin 2017

Camille (et Auguste) à travers correspondances, carnets, articles de presse...

Camille Claudel : 1864 - 1943 - Sculptrice française "Art nouveau"
Auguste Rodin : 1840 - 1917 - Sculpteur français
Paul Claudel : 1868 - 1955 - Ecrivain, diplomate français

" Il est bien rare que la vocation artistique soit une bénédiction "
Paul Claudel - Mémoires improvisés - 1951


C'est la vie et l'itinéraire d'une artiste par des correspondances, articles de presse, extraits de carnets intimes, présentés bruts et chronologiquement, choisis et réunis par Isabelle Mons et Didier Le Fur, qui présentent un beau travail. Pour commencer, le titre choisi par l'éditeur n'est absolument pas représentatif de l'ouvrage, qui dit la vie de Camille Claudel à travers ses échanges épistolaires avec Rodin, son frère Paul, sa mère Louise-Athanaïse, son galeriste, ses soutiens féministes, notamment le journal La Fronde, des critiques d'art, ses clients, dont le ministère des Beaux-Arts, mauvais payeur comme il se doit. Relances d'impayés, sollicitation de mécènes, soucis de fins de mois et de trésorerie d'employeure devant payer ses ouvriers et son fondeur, ses achats d'onyx et de marbre ; ses joies de rencontrer des amies artistes, de partir en vacances, ses ennuis de santé, ses sautes d'humeur, et finalement sa maladie psychique, puisqu'il faut dire qu'elle était gravement paranoïaque, certaines lettres délirantes en attestent. A 49 ans, en 1913, d'abord internée à Ville d'Avray à la demande de sa famille, elle est ensuite envoyée dans un hospice psychiatrique à Montdevergues (Vaucluse) où elle meurt des conséquences de la dénutrition en octobre 1943. Emmurée vivante pendant 30 ans, disparaissant aux yeux de la société, certains qui l'appréciaient se demandant ce qu'elle est devenue, sa mère interdira même au Directeur de l'hôpital de la laisser sortir de la correspondance vers l'extérieur pour ne pas salir la réputation de sa famille. Son frère cadet Paul Claudel, très absorbé par sa carrière de diplomate et d'écrivain ne sera pas très assidu auprès de sa sœur, malgré de fréquents appels au secours. Certaines de ces lettres sont déchirantes. Auguste Rodin, une grande passion mutuelle pendant 10 ans, qui la soutient financièrement alors qu'elle ne veut plus le voir, ne quittera jamais Rose Beuret, sa femme -non épousée mais qui lui donne un fils, et assure l'indispensable intendance : les lettres de Rodin à Beuret sont accablantes, il lui demande de repasser ses chemises en lui donnant d'approximatives dates de retour à la maison ! Et Paul Claudel, fervent chrétien converti tardivement, qui sollicite un curé de sa connaissance pour lui demander si un "exorcisme à distance" de sa sœur serait possible. On se pince un peu, venant d'un si brillant esprit.

Camille Claudel fut une artiste reconnue, exposée, recherchée, achetée, de son vivant, sa fin atroce l'a fait glisser dans l'oubli. Une partie de ses œuvres seront réunies au Musée Rodin dans les années 50, puis un livre et un film la tireront de l'oubli. Tant mieux. Ce nouveau livre apporte originalement sa contribution. Allez voir les œuvres de Camille Claudel, artiste exceptionnelle, qui a désormais son musée et ses expositions dédiées.


Voici le portrait qu'en fait la journaliste Gabrielle Réval, à propos du Salon des artistes femmes en 1903 :
Mademoiselle Claudel sourit, ses yeux se tournent vers moi : deux yeux magnifiques, d'un vert pâle qui évoque les jeunes pousses des forêts. Ces yeux surprennent par leur clarté, ils ont un charme virgilien, puisqu'ils évoquent tout de suite la fraîcheur des bois. Mais au moment même où le regard vous attire, un geste instinctif de l'artiste semble arrêter l'élan de sa sympathie, et l'on reste avec cette impression bizarre d'une nature profondément personnelle, qui vous attire par sa grâce et vous repousse par sauvagerie. Tout le caractère de Mademoiselle Claudel est dans ce retrait un peu farouche. "

Paul Claudel analyse l'oeuvre de sa sœur Camille en 6 sculptures qu'il considère prémonitoires de son destin. Voici ce qu'il écrit dans son journal après le 25 septembre 1943 :
Réflexion sur la sculpture de ma sœur, qui est une confession toute imprimée de sentiment, de passion, du drame intime.
- La 1ère oeuvre, l'Abandon, cette femme qui s'abandonne à l'amour, au génie. - 2. la Valse, dans un mouvement spiral et une espèce d'envol, elle est emportée dans le tourbillon de la musique et de la passion. - 3. La Vague, les trois baigneuses qui se tiennent par la main et qui attendent l'écroulement de l'énorme vague au-dessus d'elles. - 4. L'Age mûr, l'oeuvre la plus déchirante. L'homme, lâche, emporté par l'habitude et la fatalité mauvaise, cette jeune femme à genoux derrière lui et séparée qui lui tend le bras. - 5. La Cheminée. L'abandonnée qui regarde le feu. - 6. La dernière oeuvre, Persée. Le héraut regarde, dans un miroir qu'il tient de la main gauche, la tête de Méduse (la folie !) que le bras droit lève verticalement derrière lui. - Dans mon dernier voyage, j'ai été frappé de ce large visage, cet énorme front dégagé et sculpté par l'âge . Avons-nous fait, les parents et moi, tout ce que nous pouvions ? Quel malheur que mon éloignement continuel de Paris ! "

L'Abandon (Sakountala) 1905



La Valse (1905)


Voici ce qu'écrit de La Valse Léon Daudet, écrivain et journaliste manifestement transporté par cette sculpture : " Un haut et large esprit a seul pu concevoir cette matérialisation de l'invisible. Et qu'est-ce que l'art, en somme, si ce n'est une prise perpétuelle, inassouvie, de l'humanité sur le mystère, le mystère, réservoir inépuisable et sombre de toutes les beautés possibles. Et maintenant les corps des valseurs vous parlent, puisqu'ils vous arrivent traduits par cette enveloppe mobile. Voici ce qu'ils m'ont semblé dire de la voix pénétrante, inextinguible des chef-d'oeuvres. Pris de dégoût pour la vie plate et la planète morose, nous sommes partis vers les espaces dans une danse d'amour et d'espoir. Nous tournons comme tournent les mondes et les esprits à travers les mondes, et notre valse suit celle des atomes. Pauvres atomes que nous sommes, petites poussières dans la tempête ! Mais jusqu'à ce qu'un choc définitif nous sépare, joignons-nous par l'ouragan même, vivons, pivotons bien serrés, et que notre spire éperdue concorde à celle de l'univers. "

 La Vague (1897)


L'âge mûr ou la Destinée (1899)


La Cheminée (1905)


Persée et la Gorgone (1902) sculpture monumentale visible à La Piscine à Roubaix


Camille Claudel déclinait ses œuvres en plusieurs versions : bronzes, plâtres, onyx, marbre.

Liens
Ouverture en mars 2017 du Musée Camille Claudel à Nogent sur Seine
Le site du Musée
La fiche Wikipedia de Camille Claudel
Les extraits du livre sont en caractères rouges


Les Causeuses - Camille Claudel - Plâtre - 1895

vendredi 16 juin 2017

Chez le garagiste

On n'a pas toutes un mari pour porter son auto au garage et négocier les réparations et les prix avec le garagiste ; en revanche, on a (presque) toutes une voiture. Et même si vous avez un mari, je vous conseille l'autonomie, on ne sait jamais ce qui peut arriver. Un divorce, et on se retrouve comme une andouille à regarder sa voiture comme un piège, sans même savoir la date de la dernière vidange, si toutefois elle a été faite, ce qui n'est même pas sûr. J'ai vu faire, c'est carrément atroce.


Prospectez, comportez-vous en acheteuse

Donc, c'est votre voiture, occupez vous-en. Parlez avec votre garagiste. C'est le b-a ba. Sans rouler de mécaniques, comparez et achetez. Discutez, au besoin, posez vos conditions si vous avez des paramètres non négociables.
Prix, délais, service, amabilité, disponibilité, professionnalisme. Celles qui achètent juste un prix n'auront qu'un prix bas et pas de service. Comparez, faites faire des devis, et si vos travaux sont importants, prenez plusieurs avis. Pendant ces consultations, vous vous ferez une culture, vous verrez s'ils font tous le même diagnostic -la mécanique c'est carré ; si un dramatise, vous gonfle le problème et le prix, ne donnez pas suite. Mais les garagistes ne sont pas tous des voleurs essayant de plumer les femmes. Certains apprécient d'ailleurs la clientèle des femmes, moins "as-tu-vu-ma-grosse-bagnole", plus demandeuses de bons conseils, plus sérieuses, ne roulant pas dans des épaves hors d'âge. Acheter ce n'est pas que faire attention au prix, vous achetez une prestation entière.

Intéressez-vous à votre voiture : gardez vos factures par ordre chronologique, elles constitueront l'historique de vos réparations et entretiens réguliers : vidanges, changement de pièces, de pneus, vous pourrez ainsi vérifier et répondre à votre garagiste (ou à un nouveau) la date de telle ou telle réparation, envisager un délai, ou alors la programmer. A chaque panne, prenez des notes, apprenez : votre garagiste adore, comme tout professionnel, parler de son métier. Faites vous montrer les pièces, décrire la panne, comment ça marche et donc, pourquoi ça ne marche plus. Vous retiendrez, vous vous ferez une culture mécanique, et les fois d'après, vous irez au garage en faisant votre diagnostic de panne, que vous proposerez à votre mécanicien, deux fois sur trois, vous aurez fait le bon. Moi, c'est mon score. J'ai même proposé des diagnostics de panne à des mecs rien qu'en me faisant décrire les symptômes et en écoutant leur moteur tourner. Certains ne touchent pas une bille dans le domaine : ils ne naissent pas avec des dispositions particulières pour la mécanique. Quand on vous change une pièce, exigez qu'on vous montre la pièce défectueuse, manipulez-là au besoin, et demandez à voir une neuve à côté. Vous aurez au moins la certitude que la réparation a été faite ! C'est valable aussi pour les garçons, ce que j'écris, ils sont tellement sûrs d'eux qu'ils se font gruger comme au coin d'un bois.

Le coup du garagiste overbooked 

Il ne sait plus où mettre ses clients ni d'ailleurs, leurs voitures. Son agenda est pris à trois semaines. Au moins. L'homme d'affaires en salopette bleue tourne désespérément les pages de son agenda sans vous trouver de place. Soyez compréhensive : si vraiment il ne peut pas, ne jouez pas les tortionnaires, tout le monde a besoin de manger et dormir, soulagez la pression, dites-lui que vous comprenez, il a sûrement un confrère quelque part. Et tournez les talons. Généralement, il craque et vous court après, deux pages de son agenda étaient collées ensemble, comme c'est bête.

Il y a aussi la femme ou la belle-mère qui tient la caisse, bénévolement comme il se doit. Un jour, prévoyant de changer ma courroie de distribution, donc facture de main-d'oeuvre conséquente, j'avais prospecté des garages que je connaissais, pour avoir leur meilleur prix, histoire de comparer : prix, service. Rentrant chez moi, un peu déçue de mes résultats, j'aperçois un dernier garage que je ne connais pas : je donne un coup de volant et me gare dans la cour. Secrétariat : derrière le panneau, un genre de femme à barbe. Elle me détaille de la tête aux pieds d'un air méprisant, et me classe d'emblée dans la case nana qui s'occupe sur ordre de la bagnole de son mec.
"Bonsoir, Madame, je voudrais votre meilleur prix pour le changement de ma courroie de distribution", dis-je, pas démontée du tout.
Re : elle me détaille de la tête aux pieds d'un air offusqué, et
"De toutes façons, ça va pas être possible avant trois semaines" !
Moi : "Ça ne sera peut-être pas être jamais possible, j'ai demandé votre meilleur prix, un devis si vous préférez, pas un rendez-vous". Réinspection méprisante de bas en haut, et "Bon, je vais chercher mon gendre". Finalement son gendre et moi avons fait affaire, il était le moins cher, accessible à pied, et le plus serviable. Je suis restée plusieurs années chez lui avant qu'il déménage dans une improbable zone artisanale inaccessible.

Le coup de la courroie de distribution

Ah, la courroie de distribution, que de souvenirs ! En caoutchouc synthétique, elle mesure à tout casser 45 cm circulaire, un centimètre d'épaisseur, et elle a des crans. Invisible, elle est fichue au milieu du moteur dont elle agence les éléments ensemble, et elle fait tout tourner. Si elle casse, vous rachetez un moteur -ou une voiture-, c'est pareil. D'où les coups de nerfs des garagistes à son propos. Et comme pour la changer, il faut tout démonter, ça coûte cher en main-d'oeuvre. Pour les modalités, conformez-vous aux instructions du manuel du constructeur en années/kilomètres, à six mois près. Là où ça se corse, c'est quand vous gardez la même voiture longtemps, (d'où l'intérêt de garder vos factures, il y a les dates et vos kilométrages dessus) ou quand vous achetez une voiture d'occasion dont vous ne connaissez pas précisément l'historique. Ce fut le cas de ma voiture actuelle. Ayant fouillé les quelques factures du vide-poche, d'où rien ne ressortait, j'ai dû supposer que l'ancien propriétaire décédé avait fait toutes ses réparations dans le garage où il l'avait achetée, une donnée en ma possession. J'ai appelé : on a essayé avec l'immatriculation, puis le numéro de série de la voiture, dans les grands fichiers de Renault, pour finalement m'entendre dire que les données avaient été perdues avec l'upgrade de leur logiciel de gestion mécanique et comptable ! Curieusement, upgrade signifie souvent perte de mémoire : méfiez-vous de ceux de votre caisse de retraite qui compte vos points. Elles en sont au moins au 10ème, Alzheimer les menace. Quand on pense que ces machines ont été inventées pour stocker l'information à notre place, ça promet. L'humanité va finir amnésique. Et les caisses de retraite ne sont pas le principal problème, c'est quand on ne saura plus où on a rangé nos milliers de tonnes de déchets nucléaires au plutonium que ça va se corser.

En mettant ensemble l'âge de la voiture, les factures récupérées qui ne mentionnaient rien en matière de courroie, j'ai pris la décision de la changer. Fidèle à mes principes, j'ai demandé à voir l'ancienne et une neuve à côté : pas de différence, c'était même dingue. Mon garagiste m'a dit qu'elle avait des micro-fissures invisibles. Depuis, j'ai une sorte de syndrome post-traumatique : quand on prononce micro-fissure devant moi, je deviens blanche et j'ai envie de tuer quelqu'un. Mais je me maîtrise, pour le moment.

Le coup des balais d'essuie-glace sur l'autoroute

Un jour sur semaine en août, je rentre d'un rendez-vous en entreprise, il fait un soleil de plomb, et il commence à faire soif. Ma voiture et moi avons des heures dans les roues, je décide de refaire les niveaux, café pour moi, essence et huile, plus liquide de refroidissement (j'avais une fuite) pour elle. Une fois n'est pas coutume dans ces stations, qu'on n'ose plus appeler service tellement on peut y crever de solitude sans que personne n'approche, un mec en livrée de la marque arrive et commence à remplir mon réservoir, tellement que j'en reste baba. Pendant que ça remplit, il fait le tour de ma voiture, regarde les pneus, et tombe en arrêt devant mes essuie-glaces.
- Vous roulez avec des balais d'essuie-glaces pareils ?
Je lui fais incidemment remarquer que les essuie-glaces ne sont pas a proprement parler ce avec quoi on roule, qu'il ne pleut pas, que rien ne menace, et que oui, puisqu'il insiste, j'ai ces essuie-glace depuis longtemps, que forcément je m'y suis attachée, et que m'en séparer comme ça brutalement sur une aire d'autoroute, franchement je trouverais ça ingrat. J'ai besoin de me faire à l'idée de la séparation. Mais en revanche, pourrait-il avoir l'amabilité de me refaire mon niveau de liquide de refroidissement dont j'ai un bidon dans mon coffre ?  Il se trouve que mes essuie-glace étaient usés, mais comme ça, se faire fourguer une paire de balais par beau temps, au tarif autoroute, ça ne passait pas. Il vaut mieux se méfier, les client.es peuvent être la proie de vendeurs prêts à tout pour augmenter leur chiffre d'affaires.

Prenez des cours de mécanique auto

Apprenez à vérifier la pression des pneus, à vérifier vous-même vos niveaux d'huile, de liquide de refroidissement, à changer un pneu, voire à faire vos vidanges vous-même. Renseignez-vous : certaines associations féministes proposent des formations, mais aussi des garages coopératifs qui vous fournissent l'infrastructure et une assistance. Après formation, il faut pratiquer, parce qu'un savoir non utilisé s'oublie. Mais consultez les notes que vous avez forcément prises, ça aide. D'ailleurs, puisque les vacances approchent, c'est le moment de vérifier ou d'approfondir vos connaissances, et de vous remettre toutes ces notions en tête.

Liens :
Pour vous lancer ou vous rafraîchir les idées, un blog de mécanique :
Mécagirl, la mécanique pour les filles 
Il y a même des tutoriels !
Cesson Sévigné (Rennes) : La concession Nissan organise régulièrement des cours gratuits d'initation à la mécanique de 2 heures réservés aux femmes.
Pour être au courant abonnez-vous ou allez régulièrement voir leur compte Facebook.
Cherchez dans votre région : s'il n'y en a pas, c'est que le diable s'en mêle ! Et comme il n'existe pas...

lundi 12 juin 2017

Les hommes et la Sainte Vierge

Encore une procession masculine où on sort en grande pompe une déesse (de plâtre) couverte d'or et de broderies : démonstration de l'adoration masculine pour la mère de Dieu, vierge et mère. Inutile de leur faire remarquer que ça ne marche pas ensemble, ce serait en pure perte. Surdité sélective. Ils n'entendent pas.


Traduction : "Mère de Dieu, les machos."

C'est vrai qu'on préfère que ce soit une statue qui soit trimbalée de la sorte, mais quand même, c'est la démonstration d'une passion renversante. Notez qu'il n'y a pas une femme (hormis la Sainte Vierge bien sûr, pauvre femme !) dans la foule. Tant mieux. On en tremblerait pour elle.

jeudi 1 juin 2017

Ceci est mon sang : une histoire des règles

Avoir ses fleurs, ses coquelicots, ses jours, ses lunes, son rosaire, avoir ses ourses (allusion à la Déesse Artémis : étymologiquement ourse puissante ?), ses ragnagnas, les anglais ou les russes qui débarquent..., les expressions populaires pour désigner les règles ou menstrues abondent, toutes plus poétiques les unes que les autres.




Les femmes subissent l'écoulement involontaire du sang, les hommes feraient couler le sang volontairement, selon une interprétation anthropologique sexiste de la symbolique des règles. Lesquelles n'ont pas toujours été taboues : elles signalaient la puissance procréatrice des femmes, leur fécondité. A telle enseigne que selon certaines interprétations, la circoncision serait le pendant des règles des femmes : on fait saigner les petits garçons aussi.
Cette volonté des hommes de mimer le sang menstruel pour s'en approprier le pouvoir est attestée dans plusieurs sociétés et à plusieurs époques ". Des exemples anthopologiques le prouvent, où des hommes se mutilent le scrotum pour saigner eux aussi. Des rituels de subincision pratiqués sur les pénis des garçons chez des aborigènes australiens, des rituels de castration en Grèce antique autour des lieux de culte des déesses Cybèle et Artémis, en attestent.

Et puis, le sang des règles devient maudit, "mal dit au sens strict" : les trois religions monothéistes vont le déclarer impur et les femmes seront stigmatisées ou signalées impures pendant les règles. Certains juifs orthodoxes se signaleraient ainsi dans les réceptions : ils ne s'assoient jamais sur aucun siège de peur qu'il ait été souillé par une femme ayant ses règles ! En Islam, les femmes sont aussi déclarées impures, et interdites de prière et de mosquée ces jours-là. Chez les catholiques, le tabou du sang menstruel est moins strict, Paul proclamant qu'en Christ, il n'y a ni mâles ni femelles, ni grec ni juif, ni esclave ni homme libre. Nous ne faisons tous qu'un. Oui, bon, les femmes étaient quand même interdites de communion ces jours-là au moyen âge, et devaient attendre 40 jours après un accouchement pour pouvoir retourner à l'église. Et puis la Sainte Vierge n'avait pas de règles selon les clercs, n'a pas été souillée par le sperme d'un homme, les deux étant polluant.es pour le clergé chrétien. Il n'empêche, chassez les rituels anciens, ils reviennent au galop : "Prenez et buvez en tous car ceci est la coupe de mon sang, le sang de l'alliance nouvelle et éternelle qui sera versé pour vous et pour la multitude en rémission des péchés... [...] L'Eucharistie apparaît comme un nouveau tour de chaises musicales entre les divinités féminines et masculines" écrit Elise Thiébaut.

On apprend que les rituels d'exclusion, qui subsistent aujourd'hui (les filles réglées recluses dans une hutte ou une cabane insalubre qui paraissent tellement barbares à nos sociétés modernes dans certaines parties du monde), seraient la persistance d'une réclusion plus protectrice : le sang des règles aurait attiré les animaux sauvages qui auraient attaqué les hordes humaines, d'où la réclusion volontaire dans des grottes, le temps que tout cela s'écoule, pour protéger la tribu. Et tenez-vous bien : n'ayant rien d'autre à faire, elles y auraient développé une spiritualité chamanique et inventé l'art pariétal, dont des savants très sérieux se demandent aujourd'hui si les petites mains qu'on y voit ne seraient pas des mains de femmes ! Pour faire bon poids, l'os d'Ishango est également évoqué : plus vieil objet numérateur trouvé dans l'actuel Congo, il a entre 20 000 et 25 000 ans, il serait un calendrier lunaire de 6 mois, premier objet mathématique connu, inventé par les femmes pour mesurer le temps et numéroter les jours entre leurs règles pour connaître leurs périodes de fécondité.

Les règles sont une calamité pour les filles et femmes du Monde Tiers qui n'ont pas accès aux protections périodiques et doivent donc s'absenter de l'école quelques jours par mois. Cela devient un problème de santé publique tel que des entreprises sociales se préoccupent de la question. Les premières choses que demandent les femmes des pays en guerre et les femmes de la rue, ce sont des protections périodiques, nous signale Elise Thiébaut.

Drôle, sans tabous, plein de ressources, ce livre évoque toutes les problématiques des règles, mythologie, histoire, garnitures à travers les âges, et alternatives actuelles aux tampons, en réalité extrêmement polluants et très difficiles à dégrader, et les deux combats les plus récents menés par les femmes : la tampon taxe, et la composition des tampons. On expérimente la Moon Cup réutilisable qui laisse s'écouler le flux sainement, ce que les tampons ne font pas, et le "flux instinctif libre" ! Là, j'ai des doutes, mais il faut voir. Le syndrome pré-menstruel, la terrible endométriose ignorée par les médecins, sont bien décrits, notamment parce que l'auteure en a souffert elle-même. Enfin, Elise Thiébaut aborde le sujet des cellules souches que contiendraient les règles. Avec des expériences sur des rats, là je suis nettement moins d'accord ! Tout savoir sur l'utérus (ce tueur qui balance à la poubelle tout ce qui ne lui plaît pas, contrairement à ce que pensent les religieux obscurantistes de tous bois aha), vos trompes de Fallope, vos ovocytes, et votre endomètre qui "refait la déco, le papier peint et le carrelage" tous les 28 jours pour recevoir un nouvel hôte au cas où... Un conseil, quand votre fille vous dit qu'elle croit qu'elle a ses règles, au lieu de lui dire "eh ben, vla aut' chose" (la mère de l'auteure) faites une petite fête avec un gros gâteau (vegan) avec plein de rouge, et offrez-lui deux ou trois moon cups. Il n'y a aucune raison que nous n'ayons pas nos rites initiatiques nous aussi. Et les mecs qui passez par ici, arrêtez d'emmerder les femmes avec leurs "humeurs ragnagnas", vous avez vos propres humeurs vous aussi, et la plupart des femmes sont surprises chaque mois par le débarquement des anglais. Au point de devoir se précipiter à la pharmacie pour se trouver des protections périodiques.

Il est temps de réhabiliter les règles : Certaines artistes s'y emploient qui peignent avec leur sang menstruel, d'autres en font des performances "blasphématoires" en réponse au seul blasphème qui existe : haïr et nier les femmes, leurs contributions et leur capacité à donner (ou non) la vie. La blogueuse égyptienne Aliaa Magda Elmahdy publie une photo d'elle sur Facebook, dénudée, en train de répandre son sang menstruel sur le drapeau de l'Etat Islamique, acte hautement politique.


Joana Vasconcelos qui fait un lustre (La mariée) en tampons hygiéniques, refusé à Versailles pour une expo qui lui est pourtant consacrée ;


Les period pains de l'artiste lesbienne sud-africaine (Zulu) Zanele Muholi :


ainsi que le Tumblr Womanstruation de John Anna :


Enfin, en avril 2016, le magazine Newsweek, parodiant le titre du film de Paul Thomas Anderson (There will be blood, 2007 : Il va y avoir du sang) fait sa couverture sur un dossier complet en anglais "The fight to end period shaming is going mainstream" ! Espérons, espérons...


Aménorrhées

Jeanne d'Arc n'avait pas de règles, ce qui a conduit certains à prétendre qu'elle était un homme ! Ceci me rappelle l'anecdote professionnelle suivante : un jour, visitant un des médecins du travail d'une entreprise industrielle employant une infirmière et à qui je vendais des prestations, la conversation tombe sur ses (rares) femmes ingénieures qui, me dit-il "souffraient toutes d'aménorrhées". Et de m'expliquer que, dans un milieu exclusif d'hommes, elles refusaient d'être des femmes et que leur cerveau (notre premier organe sexuel) bloquait l'ovulation, donc le processus des règles. J'espère avoir eu à l'époque la présence d'esprit de lui souffler qu'il recommande à son DRH de recruter autant de femmes que d'hommes, qu'ainsi tout rentrerait dans l'ordre ! Jeanne d'Arc avait certainement le même genre de blocage au milieu de son armée de garçons. Et puis, elle devait se mal nourrir, ce qui est de forte incidence sur les menstrues des femmes. Aucune sorcellerie là-dedans, les femmes incarcérées ont, dans un milieu différent, le même problème, le temps de leur peine.

Réglées comme du papier à musique ?

" ... la régularité du cycle menstruel peut être perturbée par tout et n'importe quoi. Une femme qui mange à sa faim, n'est pas emprisonnée et ne produit pas d'efforts excessifs ovule plus ou moins régulièrement de la puberté à la ménopause. Mais si elle se prive de manger de façon prolongée, si elle voyage, si elle est une sportive de haut niveau et ne dispose pas suffisamment de réserves de graisse pour transmettre le message hormonal aux ovaires, si elle a été envoyée en prison ou, pire, en camp de concentration, elle cesse d'ovuler et donc, d'avoir ses règles. On sait qu'un grand stress peut soit déclencher un cycle, soit l'interrompre. Durant les guerres, des épreuves tragiques comme un exil ou une migration forcée, les femmes ont moins -voire plus du tout- leurs règles : leur corps se met en mode survie. C'est ce qu'on désigne sous le nom d'aménorrhée de guerre ou de famine, ou encore aménorrhée d'inanition. "
Les règles : le seul sang qui coule sans violence, mais le seul sang qui dégoûte les hommes"

Les citations du livre d'Elise Thiébaut sont en caractères gras et rouge.
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