dimanche 24 décembre 2017

Noël iconoclaste : de la maternité

 
 Vierge au buisson de roses - Stephen Locker - Vers 1450

Voilà, c'est Noël encore une fois, cette fête de famille où on finit par s'engueuler en fin de repas, après un long trajet dans les embouteillages ou dans des trains bondés, puisque tout le monde part en même temps, après avoir dévalisé les magasins, tout ça pour fêter la naissance d'un garçon -je sais on nous le vend comme la naissance d'un enfant, sauf que si une fille était née, on n'en parlerait pas. Et bien sûr, tout bénéfice, c'est de la propagande patriarcale pour la maternité.

Quand on est nullipare (techniquement sans enfant), on s'entend souvent poser la question "pourquoi tu n'as pas d'enfant ?" Personnellement, je l'ai même entendu pendant des entretiens de recrutement, ce qui est parfaitement hors-sujet et illégal ! En revanche, jamais personne ne demande aux hommes et aux femmes parents pourquoi, EUX ont des enfants ? On ne questionne pas ce qui se pose d'emblée comme une norme, mais on questionne ses dissident.es. En symétrie, on questionne celles qui ne mangent pas de viande, jamais celles et ceux qui en mangent. Les deux feraient partie de l'ordre "naturel" des choses.
D'ailleurs quand vous posez la question aux parents, pourquoi vous avez des enfants, ils ne savent pas répondre, tant ça leur paraît "naturel". Ce qui est naturel ne se verbalise ni se justifie. Sauf qu'il n'y a pas de nature dans l'espèce humaine, il n'y a que des constructions sociales. Et en ce qui concerne les femmes, il y a de la contrainte : mariages précoces, mariages forcés, enlèvements de fiancées, viols. Et bien sûr, glorification ad infinitum de la maternité. D'où les questions aux femmes sans enfants.

Voyons ce qu'il en est en anthropologie : Nicole-Claude Mathieu citant Paola Tabet.

" L'espèce humaine présente la particularité d'être, par rapport à d'autres mammifères, relativement infertile ; d'autre part, la pulsion sexuelle n'est pas concomitante des mécanismes hormonaux de la reproduction. Il est donc possible d'imposer la grossesse pour rentabiliser le corps des femmes. L'auteur analyse, outre les moyens variés (et souvent violents) qui permettent l'exposition maximale des femmes au risque de grossesse -dont le mariage est dans toute société la structure portante... 
Le divorce potentiel entre sexualité et reproduction dans l'espèce humaine  est ainsi élaboré socialement par la manipulation de l'organisme psycho-physique des femmes : sa canalisation vers l'hétérosexualité et sa spécialisation à des fins reproductives. [...]
Ainsi la reproduction fait-elle en réalité "l'objet d'un traitement social dans toutes ses étapes qui prend la forme générale d'une contrainte à la reproduction, contrainte exercée par les hommes sur les femmes. ".
" La maternité est caricaturalement présentée comme une donnée immédiate de la féminité ".
La rôle de la mère serait biologique, celui du père est de l'ordre symbolique et social.

En France, pays nataliste et croissantiste, la vitalité démographique est toujours présentée comme première condition du caractère durable du développement ; dans l'état français, dit Christine Delphy, sociologue, " la famille a une signification et une fonction précises : il s'agit d'encourager la natalité et le maintien des femmes au foyer, les deux étant considérées comme synonymes. La DEPENDANCE des femmes est valorisée pour elle-même, comme fondement de la famille ". Peu importe que ce ne soit pas vérifié dans les faits : la majorité des femmes devenues mères ont un emploi à l'extérieur du foyer, elles sont donc indépendantes économiquement, mais les différentiels de salaires et les possibilités de promotion réduisent drastiquement cette indépendance, les mères le payent sur leur bien-être et leurs finances, leur carrière. Et même quand les femmes font carrière, être chargée d'enfants permet aux hommes, peu investis dans la paternité, de s'emparer des hiérarchies des entreprises, des postes de décisions, des partis politiques et au final, de garder le pouvoir. Comme les choses sont bien faites, qui favorisent toujours les hommes ! Un tel constat devrait faire douter sur le"naturel" de la maternité ! Tout cela sert bel et bien des fins politiques.

On peut regretter le tournant pris par le deuxième féminisme néo-malthusien au départ, prônant le contrôle de la fécondité, et donc la maîtrise par les femmes de leur destin, le féminisme de "mon corps m'appartient, un enfant SI JE VEUX, quand je veux !". Il a choisi de se tourner vers la défense des mères. Je ne dis pas qu'il ne faut pas les défendre, je dis juste que ce faisant, il a sacralisé la maternité, renforcé l'aspect "vache sacrée" de cette construction sociale qui a tant étouffé le potentiel des femmes, et qui les limite. On est passées en 50 ans à peine de la maternité malédiction, à la maternité choisie, pour arriver à un enfant à tout prix. Les féministes néo-libérales trouvent même génial de pouvoir congeler leurs ovocytes pour continuer à faire carrière et choisir ainsi le moment opportun, puisque des techniques (assez inhumaines, mais passons) le permettent. J'ai trouvé sur Twitter un exemple d'activisme féministe néo-libéral avec une foufoune affichant le slogan "souvenez-vous d'où vous venez" du Lobby Européen des Femmes, qui espère sans doute ainsi lutter contre les violences faites aux femmes !
Ça ne marche pas, ce truc ! Le féminisme réformiste est très poli et très aimable, parfois très inefficace aussi. A mon avis, une foufoune va les laisser indifférents ou les fait rire gras. Et puis, produire au quintal de l'ennemi de classe, il n'y a que les femmes qui font ça, c'est une espèce de malédiction. Prenons le contrepied des diktats patriarcaux, je serais plutôt pour un moratoire sur la production à demeure de frustrés qui nous maltraitent en nous déniant un traitement égal au leur, nous condamnent à leur service et même nous font du mal et nous tuent. Dans un monde fini et surpeuplé, où nous vivons en détruisant des ressources limitées, il est urgent de faire une pause. Le temps par exemple de nous emparer des leviers du pouvoir. C'est, à mon avis, de salubrité publique. Avec eux, nous courons à notre perte, en tant qu'espèce, menacée non de pénurie, mais de trop plein patriarcal. La seule façon de lutter contre la surpopulation qui menace, c'est indéniable, c'est l'EMPOWERMENT des femmes ! La maternité doit être un choix éclairé, pas un destin.

Qui était Marie ? Selon les textes, une très jeune femme -14, 15 ans maximum-, qui se trouve enceinte sans être mariée ; elle fait une fin en épousant un vieil homme qui endosse une paternité qui n'est pas de ses œuvres. Que s'est-il passé ? Dans la vraie vie, hors du conte de la fécondation par le Saint-Esprit ? Qu'est-ce qui est plausible dans cette Palestine occupée par les romains, connaissant les mœurs toujours en cours aujourd'hui dans les pays en guerre et occupés ? Le viol ! Vous vous dites sans doute que je suis passée en mode surchauffe ? Pas du tout : je l'ai entendu dans l'excellente série d'Arte, L'origine du Christianisme, conjecturé par un honorable et savant exégète : Marie a sans doute été violée par un soldat romain et coup de chance pour elle (!), un vieil homme la prend en pitié et offre de l'épouser, lui permettant une sortie honorable, tant il est vrai que de tous temps et sous toutes latitudes, ce sont les femmes qui portent la honte et l'infamie du viol. Les mecs eux, s'en tirent sans être inquiétés. Selon les écritures-propagande patriarcale, elle s'incline et accepte son sort : je suis la servante du Seigneur ! Des enfants, on nous en a toujours collé dans le ventre, consentantes ou non. Ce sont ces femmes contraintes et abusées que j'ai envie de défendre politiquement moi, et je ne crois pas qu'on puisse compter sur les hommes sur ce coup-là non plus. Ils ont bien trop à y perdre.

Les citations qui ont inspiré ce billet sont tirées des ouvrages suivants :
Nicole-Claude Mathieu : L'anatomie Politique ;
Christine Delphy : La maternité occidentale contemporaine : le cadre du désir d'enfant citée par Emilie Devienne : Etre femme sans être mère, Le choix de ne pas avoir d'enfant.

mardi 12 décembre 2017

Le mythe de la virilité



J'ai lu Le mythe de la virilité, sous-titre Un piège pour les deux sexes, d'Olivia Gazalé, Robert Lafont Editeur, paru il y a quelques semaines. Olivia Gazalé est philosophe : elle écrit en première partie de son livre, une histoire de la condition des femmes où elle cite les anthropologues (Héritier, Mathieu, Tabet, entre autres...), les études des féministes politiques (Beauvoir, Wittig, Dworkin, Marie-Jo Bonnet...), une histoire de l'asservissement, de "l'arraisonnement des femmes" aurait dit NC Mathieu, avec une abondance de documentation et de citations qui laisse un peu étourdie et surtout désespérée, tellement c'est concentré sur une centaine de pages. Certaines pages sur les règles, la maternité, l'accouchement qui ont été instrumentalisés pour inférioriser les femmes sont toutefois carrément hilarantes -on est au bord de la crise de nerfs-, tellement l'accumulation et la mauvaise foi patriarcales sont évidentes. Mais pourquoi tant de haine sinon pour réaliser une prise de pouvoir totale par le sexe mâle ? Bref, c'est érudit, argumenté et ... concentré. Tous les sujets sont abordés sans tabous : règles, viol, voile, prostitution. Et tout ça pèse sur les comportements et la psyché des femmes. Résumé.

Au commencement sans doute :

" Se pourrait-il que tout ait commencé par la stupéfaction mâle du prodige de la maternité ? Les femmes semblent beaucoup moins résistantes physiquement, et pourtant ce sont elles, et elles seules, qui, un beau matin, on ne sait très bien ni comment ni pourquoi, vont se pendre à un arbre, écartent les cuisses et expulsent un minuscule être humain entièrement équipé pour la vie. Jamais de mémoire d'homme aucun d'entre eux n'a été capable d'un tel miracle. "

Mais comme les bonnes choses ont une fin, ça va finir par se payer cher :

"... des discriminations aux origines tellement lointaines qu'elles passent pour des évidences naturelles ".

Exogamie, tabou de l'inceste :
" Au lieu de s'entretuer, les hommes troquent leurs filles et leurs sœurs et gagnent ainsi des gendres et des beaux-frères qui deviendront des partenaires de chasse " - Claude Lévi-Strauss. L'échange des femmes (après, ça évoluera en échange de chèvres) substitue l'hostilité entre mâles en alliance et coopération. On fait société aux dépens des femmes.

Haine des femmes :
" Allah ne tolèrera pas l'idolâtrie, ni les païens qui adorent les femelles ". Allusion sans doute aux cultes des déesses mères primordiales qu'ils ont éradiqués.
" La violence envers les femmes semble un fait structurel, une matrice anthropologique, un invariant, une donnée universelle. " Françoise Héritier.

Viol :
" Passer en quelques minutes du statut de marchandise échangeable, parfois de grande valeur, à celui de denrée avariée ". Filles perdues, victimes de viol.

Voile :
" Quels sont en effet les individus qui, d'ordinaire, portent un masque ? Tous ceux qui incarnent le mal, la violence et la mort : les bourreaux, les kamikazes, les cambrioleurs et autres membres du Ku-Klux-Klan. " Le mal n'a pas de visage, et " le visage est ce qui révèle la pure humanité d'autrui ", selon Emmanuel Lévinas. Pourquoi ensevelir les femmes sous un linceul de honte et de mépris, demande Olivia Gazalé ?

Quand céder n'est pas consentir : son interprétation de la thèse de NC Mathieu :
" Le prétendu consentement de nombreuses femmes à leur propre servitude est une supercherie puisque leur état de dominées leur interdit précisément de voir qu'elles le sont ".

Le passage sur la prostitution "La putain ou le mal nécessaire" est nettement plus discutable : selon l'auteure, le fait que la prostitution est indigne et qu'il faudrait l'interdire serait le mantra des féministes. Les femmes ne choisissent pas de se prostituer, ou alors seulement une infime minorité sans valeur statistique ; les féministes ne sont pas pour l'interdiction de la prostitution mais pour son abolition, ce qui n'est pas du tout pareil : la prostituée est une victime, le proxénétisme est un crime et le client se trouve enfin en situation de rendre des comptes à la société. Rien à voir avec l'interdiction, en revanche tout à voir avec la prostituée victime. Olivia Gazalé utilise aussi le vieux mythe patriarcal justifiant socialement la prostitution par la diminution du nombre de viols, ce qui n'est pas démontré. Pas plus que les bordels à soldats ne démontrent leur efficacité en limitant les viols de guerre. Tout le monde sait que cela ne se passe pas comme cela. Les viols de guerre sont une arme contre les peuples, les bordels à soldats n'y peuvent rien. Et puis, ce serait féministe et humanitaire d'accepter que des femmes soient dégradées dans la prostitution pour que la majorité des autres soient épargnées ? On se pince.

Enfin, les féministes avec leur combat contre la pornographie seraient coupables de tuer l'érotisme ; pas du tout d'accord, dans le privé, entre adultes égaux consentants, il n'y a pas d'interdits.

La virilité : injonctions aux hommes 
AVOIR DES COUILLES

Les pauvres petits trinquent aussi : la virilité est une séparation d'avec les femmes, la mère, un parcours initiatique (la littérature en est pleine, à commencer par l'Odyssée), une construction sociale.

Coups, taloches, férule :
On les bat,
on leur met des claques,
on les met dans des camps et on les abuse sexuellement comme dans la Sparte antique,
on les humilie "pour leur bien", et finalement,
ON LEUR APPREND A MOURIR.

Et ce n'est pas fini : ils doivent prouver leur virilité !
Non seulement, ils ont obligation de bander, mais il doivent aussi
La rentrer
La rentrer au bon endroit (obsession de l'onanisme et homosexisme)
Et surtout ne pas se la faire rentrer ! " Un homme est pénétrant, jamais pénétré ". Sous peine d'être déchu en tapette, efféminé, tafiole... les qualificatifs insultants ne manquent pas.

Mais c'est comme pour les femmes, il y a de quoi devenir fou : les doubles injonctions paradoxales sont ce qui manque le moins. On est quand même tellement mieux entre mecs, à voir toutes les sociétés homosexuelles à strict apartheid des sexes où on les trouve. Et puis ils adorent les fanfreluches.
Paradoxes des représentations viriles : Louis XIV, roi-père de ses sujets, toujours en guerre et qui, lui, la rentrait toujours aux bons endroits, ci-dessous en costume de sacre, peint par Hyacinthe Rigaud :


emperruqué, popotin à l'air, mollets gainés d'un collant, et sandales à talons orange de 6 centimètres à brides et nœuds !

Ou alors les couilles au vent du Garde, par Arno Breker, phallus symbolisé par un glaive, Arno Breker qui illustre aussi, avec Le blessé, la couverture du livre d'Olivia Gazalé. Pure iconographie nazie exaltant la virilité.


La thèse d'Olivia Gazalé est que les hommes seraient comme les femmes pris dans le piège de la virilité. C'est indiscutable. Sa démonstration est parfaite. On peut toutefois se demander où sont leurs analyses, aux hommes, si c'est à ce point insupportable. Le corpus des études féministes est inégalé : de la part des hommes, pas une analyse, pas une dénonciation de leurs privilèges de classe, rien. Pire même, les fragiles victoires des féministes sont sans cesse menacées, voire annulées à chaque fois que ça les arrange et que les circonstances s'y prêtent. Ils ont bien écrit des histoires de la sexualité (Foucault), de la virilité (Vigarello et ses deux coauteurs), mais c'est tout, travaux d'historiens, aucune dénonciation politique. Alors ? Déduction plausible : ils sont bien comme ça ! Il y a tant d'avantages à passer de la prise en charge par leur mère à la prise en charge par leur épouse, à trouver la maison propre et rangée, le repas prêt, les enfants élevés, la stabilité sexuelle, sociale, et émotionnelle du foyer, le tout sans débourser un salaire, ni aucune charges sociales, ni aucun investissement personnel. Ils y sont comme des coqs en pâte, ils le savent. Alors, que tout ce confort soit payé par quelques sacrifices somme toute valorisants, parce que la virilité est valorisée, je pense qu'ils y trouvent un bon compromis. Bref, je n'adhère pas, je reste l’œil sec, ma pitié je la garde pour mes sœurs d'oppression, je n'en ai pas de reste.

D'autant que la virilité est aussi une "injonction à la transgression" un des piliers de la construction masculine. Punis quatre fois plus que les filles, ils représentent 80 %  des sanctions pour indiscipline. Quand à la violence routière, ils y sont surreprésentés à raison de 83 % des cas ! Ils constituent 97 % de la population carcérale.

Fourmillant de références et de documentation, le Mythe de la virilité est un bon raccourci pour celles et ceux qui n'ont pas lu l'abondant corpus des études féministes. A condition toutefois de piocher dans la documentation d'Olivia Gazalé, d'en sélectionner quelques titres, et d'en faire la lecture. C'est pas mal aussi de se référer aux textes féministes, c'est même indispensable.

La fin des hommes ?

Toujours annoncée, toujours reportée ! Le déclin de la virilité une conférence de Georges Vigarello et Claudine Haroche aux Champs Libres en 2011, à laquelle j'avais assisté et dont j'avais fait un billet.
Et plus radicale, cette référence "Menace sur les mâles" : un scientifique, Bryan Sykes, se penche sur la fragilité du chromosome Y dans La malédiction d'Adam - Un futur sans hommes. 
Toutes ces fables et constructions sociales sur la prétendue supériorité virile, pour leur trouver un chromosome Y tout riquiqui et bien seul ! Mais, bon, je rassure mon audience qui aurait besoin d'être rassurée, ce n'est qu'une hypothèse de travail. On sera toutes mortes avant l'avènement de ce jour béni :D

Les références d'Olivia Gazalé sur la virilité sont nombreuses : je vous ai sélectionné deux titres (enfin, 4 en tout) de sa bibliographie :

Le Bidule de Dieu de Tom Hickman avec cette citation entrée en matière qui annonce la couleur :

" La taille du pénis n'a pas vraiment d'importance. Comme on dit, ce n'est pas la longueur du bateau qui compte, c'est celle du mât divisée par la surface de la grand-voile et soustraite de la circonférence de la pompe d'assèchement. Ou un truc comme ça ". Donna Untrael.
 

 et les trois tomes de L'histoire de la virilité de Vigarello, Corbin, Courtine
1 - L'invention de la virilité
2 - Le triomphe de la virilité
3 - La virilité en crise ?
On les trouve à prix plus doux dans la collection Points Seuil. 


Les citations sont en caractères gras et rouge.

lundi 4 décembre 2017

Travail féminin et emploi masculin

L'un des principaux et nécessaires combats des féministes réformistes libérales, c'est l'incompressible différentiel de salaires entre femmes et hommes sur lequel elles reviennent chaque 8 mars. A tel point que vu la lenteur de repli du phénomène, il nous faudrait des siècles avant que le gap ne soit plus qu'un souvenir, soulignent-elles. Pire même, pour 83 ou 85 métiers recensés, les hommes accèdent à environ 70 pendant que les femmes se contentent des 12 ou 13 restants.

L'anthropologie est malheureusement contre nous. Les femmes ne travailleraient pas ? Vous avez toutes entendu comme moi, l'ouvrier du bâtiment à qui vous reprochez son gros engin garé sur le trottoir "je travaille moi, Madame !" Sous-entendu, viens pas m'emmerder, feignasse de bonne femme. Les femmes ne travaillent pas, elles "s'occupent" et dépensent le pognon durement gagné par Kévin ? Avant un billet plus complet sur Le mythe de la virilité d'Olivia Gazalé (avec les thèses de laquelle je ne suis pas totalement d'accord, mais j'y reviendrais, donc), voici ce qu'elle écrit :

" Hier comme aujourd'hui, des millions de femmes -libres ou esclaves- accomplissent des besognes requérant les vertus viriles de force, d'endurance et de persévérance, comme d'aller chercher de l'eau, seules, à des kilomètres de chez elles, la tirer du puits et la rapporter par dizaines de litres sur la tête, en bravant le vent, le sable ou la tempête. Comme les hommes (mais bien souvent avec, en plus, un enfant sur le dos, sur le ventre ou dans le ventre), les femmes partout à travers le monde, effectuent des tâches harassantes, sèment, piochent, taillent, récoltent, pilent, écrasent, pétrissent, transportent au prix de la même "sueur" que celle dont Dieu avait fait la punition d'Adam lors de la Chute. "

Il faut donc distinguer deux notions abusivement confondues : le travail ET l'emploi -posté masculin. EUX sont payés pour travailler, c'est la seule différence (de taille) avec le travail sans salaire au sein du foyer accompli par les femmes en quasi totalité. Ils louent leur force de travail contre rémunération/salaire. Ils peuvent même adhérer à un syndicat pour défendre leurs intérêts menacés par la toute puissance du patron (père). Force de travail, main d’œuvre, manpower en anglais, d'où découlent les différentiels de salaire, à emploi équivalent quand c'est une femme qu'ils tolèrent au même poste, généralement après une longue lutte, et quand la main d’œuvre masculine vient à manquer. Emploi féminin supplétif du travail masculin : saisonnier, précaire, à salaire descendu de 20 à 40 %, survivance de l'idée tenace que la productivité des femmes serait moindre à cause d'une carence en force physique, que dément bien sûr la citation ci-dessus.

Quand je travaillais avec l'industrie pharmaceutique, alors que je prestais des pharmaciennes officinales sans aucun problème, les dirigeants de Sandoz (désormais Novartis), de Boiron, de Pfizer, et d'autres me serinaient "pas de femmes, chez nous il faut soulever des sacs de 50 kg !" Outre le fait que l'ordre est illégal, ils me prenaient pour une bille bien sûr, depuis Charlie Chaplin dans Les temps Modernes, toutes les usines sont des ateliers d'assemblage où un convoyeur amène les pièces, ou les ingrédients pour les usines pharmaceutiques, devant l'agent sur la chaîne. Je ne vous raconte même pas pour les pharmacien.nes qui ne font que vérifier les formules et la galénique. Sexisme bon teint : l'industrie, c'est des bonhommes !

Évidemment, tous les corps intermédiaires ont adopté ce point de vue, notamment les syndicats. Dans la récente campagne #MeToo des femmes dénoncent le harcèlement dont elles sont victimes dans ces organisations. Tout est bon pour que ces endroits masculins restent leur chasse gardée. Les Inspections du travail, selon mon expérience, instruisent en priorité les plaintes masculines : peu ou pas du tout les "problèmes de femmes" : discriminations à l'embauche y compris dans la rédaction des offres d'emploi, différentiels de salaire et de promotions de carrière, harcèlement, alors qu'ils sont évidemment dans leurs attributions. Il y a tellement de gars qui tombent de toits, et de caristes en danger d'écrasement sous leur charge ! Tiens, à ce propos, j'ai eu un DRH qui me disait revenir faire des rondes à l'improviste pour vérifier que ses caristes ne faisaient pas des "courses de chariots élévateurs" dans les ateliers de ses équipes de nuit ! Tenter le diable, transgresser, se mettre en danger : engagez des femmes caristes, elles ne casseront pas le matériel, elles.

En revanche, le care, c'est bien bon pour les femmes ! Toujours d'Olivia Gazalé parlant d'anthropologie :

"... tout ce qui a trait au sale -les excréments des enfants, le ménage, la vaisselle, la lessive, les ordures... - est le royaume "naturel" de la femme. Le père a en charge le "symbolique", la mère, le "réel"...
"... la vie quotidienne de l'enfant : la bouillie, les fesses sales, le vomi, ce n'était pas le domaine de l'homme. L'organique, la vérité du corps, la matière et les matières, -l'odeur des couches, le sang des plaies, la crasse du linge-, c'était le royaume naturel des femmes, en vertu de leur lien ontologique avec l'impur, le sang, la mort et les profondeurs. Plutôt que d'avouer leur répugnance à accomplir toutes ces tâches ingrates, les hommes ont postulé que l'"instinct maternel" servait à rendre leur exécution parfaitement naturelle pour les femmes. "

Comme ça tombe bien : les 12 ou 13 professions où nous sommes cantonnées sont des professions où on prend soin des autres (care en anglais): infirmière, aide-soignante, nounou, femme de ménage, cuisinière (sauf dans la prestigieuse gastronomie qui ne nourrit pas !), secrétariat... Ils ne veulent surtout pas y aller, pas de danger qu'ils nous y fassent concurrence. Et comme ces métiers sont dérivés du soin féminin, ils sont abonnés aux bas salaires et à la précarité, on n'en sort pas. 

" Les discriminations que subissent les femmes ont des origines tellement lointaines qu'elles passent pour des évidences naturelles " - Olivia Gazalé toujours. Voilà. A suivre, donc.

Attention hommes au travail - (Les femmes travaillent tout le temps. Les hommes doivent mettre des panneaux quand ils en font autant).

vendredi 24 novembre 2017

25 novembre - Mettez-vous en colère, ce monde masculin est insupportable !


En ces journées de lutte autour du 25 novembre, je propose un billet tentant de montrer que la violence contre les femmes est un long processus, mis en place et entretenu avec soin par la société patriarcale.

Cette journée va bien sûr être relayée partout au sens violences physiques et sexuelles faites aux femmes. Or, je pense pour ma part que la violence faite aux femmes est un continuum qui va de la violence économique à la violence sociale, à la violence psychologique pour aboutir à la violence physique et au meurtre. Si on ne s'attaque pas en priorité à la violence économique, on ne résout rien et les femmes restent dans l'impuissance. Cantonnées dans les basses zones de l'économie, à une douzaine de métiers peu payés et peu valorisés, aux salaires inférieurs de 20 à 40 % à ceux des hommes à qualifications et responsabilités égales, aux plafonds de verre, aux faibles équipements quand elles sont agricultrices ou créatrices d'entreprises, avec peu ou pas d'accès aux prêts bancaires, peu ou pas d'accès à la propriété, leurs indispensables contributions économiques ignorées des comptabilités nationales (PIB), les femmes sont pauvres, ou si elles ne le sont pas, leur richesse dépend de celle d'un homme. Elles se contentent de rôder autour des banquets des mecs qu'elles ont préparés (courses, cuisine, service et vaisselle), où elle grappillent les miettes qui tombent de la table : faibles retraites, précarité économique et sociale, sous-emplois partiels, supplétives de la "force de travail" masculine, renvoyées à la cuisine en périodes de chômage, évidemment tout cela est un programme politique voulu, exécuté en pleine connaissance par la société patriarcale et ses agents. L'empowerment des femmes passe d'abord par l'indépendance économique : éducation, profession, et plus si elles le souhaitent, mariage et maternité, mais les deux premiers piliers sont les plus importants, et les deux autres facultatifs. La valorisation de la maternité est le fait d'une société conservatrice qui ne pense les femmes qu'en terme de (re)production. L'indépendance économique, c'est ne pas dépendre d'un autre pour ses ressources donc sa vie, l'indépendance économique est la clé de l'émancipation.

La violence sociale est la conséquence immédiate de la première : la fragilité économique conduit droit vers les organismes sociaux, dont les aides sont massivement allouées aux femmes car pauvres et surchargées d'enfants qu'elles élèvent seules la plupart du temps sous le nom de familles mono-parentales. Quand elles connaissent leurs droits et qu'elles les font valoir, ce qui est loin d'être le cas pour un certain nombre d'entre elles qui ne savent pas ou n'en veulent pas, et après avoir subi une queue interminable à un guichet, parce que bien sûr, tout cela est traité par la file d'attente. Que celle qui ne s'est jamais fait humilier par la CAF ou un bureau d'aide sociale lève la main. La violence sociale, c'est aussi se limiter et se sacrifier pour d'autres qu'on estime devoir faire passer avant soi. La violence sociale, c'est limiter ses ambitions et potentialités pour être au service contraint des autres.

La violence psychologique fait l'appoint : diktats sociétaux, injonctions patriarcales, même paradoxales, car c'est tout bénef quand on ne comprend rien à deux propositions contradictoires bien shizoïdes dans la même phrase : quels que soient vos choix, vous aurez tout le temps tort ! Suivent la dévalorisation, les remarques acerbes, les propositions grivoises, les menaces sournoises, la mise en doute permanente de nos capacités intellectuelles et professionnelles, va-t-on réussir à "concilier" vie professionnelle et vie de famille, ou alors si vous n'avez pas la (mal)chance d'être dans le dilemme, on met en doute votre "féminité" : mais pourquoi vous n'avez pas d'enfants ?" (entendu en entretien de recrutement plusieurs fois). Pas de doute, ils sont pro-fes-sion-nels, EUX.

Évidemment, cette perpétuelle guerre d'attrition, cette stratégie des mille coupures, ce travail de sape, combinés à un environnement hostile, ne tardent pas à porter leurs effets, la violence physique peut alors se manifester. Coercition, chantage à la sécurité et à l'emploi. Faible estime de soi, sensation de danger permanent, rappels à l'ordre, diffamation de nos personnes et de nos qualités, propositions salaces directes et insistantes, insultes, attouchements, placage contre des murs ; quand l'agression se précise et se concrétise, nous sommes tétanisées, pétrifiées, et pour nous consoler nous nous répétons que tout cela n'est pas trop grave et qu'après tout on n'en est pas mortes. SAUF que de temps en temps, une fois par jour ou tous les deux jours, il y a quand même une morte : chez elle (l'endroit le plus meurtrier), dans la rue, en faisant du jogging, en allant ou en revenant de l'école, sur un campus d'université, dans une soirée "entre potes", NO SAFE PLACE. Le terrorisme viril, la terreur machiste règnent de façon à bien faire comprendre aux récalcitrantes qu'il vaut mieux filer droit (à la maison, au foyer), ne pas empiéter sur leurs espaces, clubs mafieux, rues, bistrots, lieux de pouvoir et partis politiques, et que c'est ainsi que nous n'aurons pas d'ennuis.

Évidemment tout ceci est un leurre : des ennuis on en a tout le temps ! Alors si pour une fois la terreur changeait de camp, si la colère, cette émotion si peu féminine à les entendre, nous emportait et nous submergeait ? Si nous l'ouvrions une bonne fois ? Si nous balancions tout ce qu'ils nous ont fait en pariant sur notre passivité et notre manque de répartie, sur notre tétanie ? Si nous devenions rouges et tremblantes de rage, comme Uma Thurman dans la vidéo ci-dessous ?*



La honte et le déshonneur ne sont pas nôtres, ce n'est pas à nous de les porter. C'est eux, les malhonnêtes, les tricheurs, les incompétents, les violents, ce sont eux qui fournissent les gros bataillons des lâches. Alors pourquoi courber l'échine, pourquoi se taire et faire comme s'il ne s'était rien passé ? Pourquoi la surdité de la société alors que les femmes parlent, voire hurlent ? Etre féministe, c'est être en colère. Contre l'injustice. Contre la brutalité aux plus faibles, quels qu'ils soient. Contre le monde tel qu'il va entre leurs mains et leur pouvoir délétères. Contre leurs gouvernements mafieux masculins cooptés. Alors oui, nous avons des raisons d'être en colère. Soyons en colère, approprions-nous la colère. La peur et la honte doivent changer de camp. Maintenant.

* Uma Thurman, interrogée à propos des accusations de harcèlement contre le producteur Weinstein, dit en résumé, le rouge aux joues et bouillonnant de rage contenue, que quand elle était plus jeune et qu'elle parlait sous le coup de la colère, elle s'exprimait mal. Donc, qu'elle va se reprendre et quand elle ne sera plus sous le coup de l'émotion, elle dira ce qu'elle a à dire.





jeudi 16 novembre 2017

Pourquoi cette végane ne regarde-t-elle plus de programmes animaliers ?


Cet article est la traduction d'un billet écrit par Corey Wrenn, publié sur le site Vegan Feminist Network. Traduit et publié sur mon blog avec son aimable autorisation. 

" J’adorais regarder des programmes animaliers quand j’étais enfant. J’ai toujours été une amie des animaux. Cependant, plus je vieillis, moins j’ai de patience envers ces programmes. En fait, je les boycotte pratiquement tout le temps à cause de leurs inévitables scènes de mort et de souffrance (scènes que les documentaristes passent des mois à capturer afin de donner du peps à leurs documentaires), que je trouve traumatisantes.

Aujourd’hui, je me souviens encore de ces scènes graphiques et horrifiantes. Une bête sauvage éventrée par des lions alors qu’elle se débat et pleure pour sa vie ; des hyènes attaquant une lionne, la laissant mourir lentement, la mâchoire brisée, assoiffée, dans la chaleur africaine ; un groupe d’épaulards noyant un bébé baleine à bosse pour le plaisir pendant que la mère se bat pendant des heures pour le protéger, etc.

Même la Marche de l’empereur, classé G, donc présumé pour enfants, était, pour moi, un film profondément dérangeant car il mettait en scène des familles séparées par la prédation et la cruelle mort lente par hypothermie et famine, sentences de mort prononcées pour des poussins et des partenaires dépendants.




Quand j’étais jeune, je devais m'endurcir et me forcer à regarder. Après tout « c’est la réalité » disait le slogan. Mais maintenant, je le vois pour ce que c’est : une glorification de la violence et une tentative forcenée de formater la nature (un espace généralement pacifique caractérisé par la coexistence et la symbiose) en un univers brutal et sans pitié. Ces programmes deviennent une justification idéologique à la société violente que les humains ont construite.  

L’incantation « c’est réellement comme ça » encourage la société à étouffer la compassion, la paix et la non-violence. Un autre exemple : la même intention préside aux films de guerre. Le public est supposé assister à des scènes horrifiantes de garçons et d’hommes tuant d’autres garçons et d’autres hommes parce que « c’est comme ça, que c’est la réalité ». D’implacables images de violence envers les femmes qui paraissent désormais obligatoires dans les scénarios actuels, convoquent la même chose. De la même manière, on attend des activistes qu’ils s’endurcissent et absorbent l’imagerie de violence contre les animaux non-humains commise par des humains à travers d’incessants messages sur les medias sociaux véganes, de nouveau, « parce que c’est la réalité ».

Le piège réside dans le fait que la violence n’apparaît pas tout le temps, ni même la plupart du temps. Les médias sont une construction sociale. Ce qui y est présenté est consciencieusement fabriqué par des auteurs, des metteurs en scène, des patrons d’associations, et d’autres, dans le but d’accroître leurs audiences et leur volumes de donations. Cela sert aussi le pouvoir en confortant la société dans l’idée que l’inégalité est un fait incontestable. C’est donc une narration de violence, de hiérarchie et de domination patriarcale qui est une perspective parmi d’autres, mais qui devient l’idéologie dominante, noyant toute alternative.

En m’affirmant féministe, je me suis finalement endurcie, mais pas de la façon dont les médias s’y attendaient. J’ai acquis la confiance de dire non et de rejeter cette narration. Je change de programme ou j’éteins. Je réalise maintenant que je n’ai pas à me punir en adhérant aux normes patriarcales qui m’enjoignent de supprimer mon empathie et d’être honteuse de trouver la violence abominable. Pour moi, ce n’est pas du divertissement, c’est de l’endoctrinement, et ça va mieux en le disant. "

jeudi 9 novembre 2017

Ti Grace Atkinson : Identité et Cannibalisme métaphysique

Le 10 mars 1968

   J'ai maintenant 45 ans et quatre fils, l'aîné a 20 ans et le cadet 11. 
Je viens d'une famille pauvre de treize enfants (je suis la fille aînée) et on m'a vite appris la leçon, les hommes ont droit à un repas chaud le soir en rentrant. Ce sont eux qui gagnent le pain, un point c'est tout...
  Il y a de bonnes et de mauvaises gens et le devoir des femmes est d'être "toujours là", au foyer...
Tout ça, j'y ai passé vingt-trois ans et comme mon éducation était insuffisante, je viens de terminer mes études secondaires et j'ai réussi aux examens.
  J'avais passé des tests au centre national de l'emploi, et on m'a dit (c'était un Q.I.) : "Vous êtes bonne pour les travaux manuels, vous pouvez emballer de la viande dans un supermarché, ou faire du repassage, ou mieux encore travailler dans une usine."
  J'ai toujours beaucoup lu et appris sur l'art, et j'ai dit à cet homme, si vous me faites travailler dans une usine, je vais crever, je ne saurais pas de quoi parler avec ces gens-là...
  Il ne savait pas que je voulais être fière de ce que je pourrais faire, que je voulais la dignité bien plus que 1,75 dollar de l'heure.
  Aux écoles on m'a dit vous êtes trop vieille, pourquoi vous en faire, restez à la maison et amusez-vous.
  J'ai donné dans le bénévolat, nous ressemblions à une bande de gosses qui jouent pour de rire... ça n'avait rien de réel.
  Je ne voudrais pas que cette lettre ait l'air d'une tirade à la Ann Landers... mais mon mari ne veut plus de repas chauds, il a sa vie à part et ça me fait horriblement mal, il était tout ce que je connaissais, je ne connais rien d'autre. 
  Ma fille aînée est à l'Université, et elle dit que c'est à moi de trouver ma vie.Vous travaillez pendant trente ans dans une compagnie, et en allant travailler un beau matin, votre nom n'est plus sur la porte... et un autre occupe votre chaise...
  Il y a sûrement des tas de femmes comme moi.
Je vais suivre un cours de sténo-dactylo mais le coeur n'y est pas... 
  Voudriez-vous avoir la gentillesse de répondre à ma lettre ? Vous ne pouvez pas me dire ce que je dois faire... mais vous pourriez au moins me suggérer une orientation générale. Il faut bien que je serve à quelque chose dans ce monde...
  Certes, je ne vais pas faire des étincelles je ne suis pas forte en mathématiques.
En général, on me répond : trouvez-vous une place de vendeuse dans une maison de commerce, ou bien faites partie d'un club.
  J'ai assisté à des défilés de mode et à des dîners. Il y a quelque chose de tragique chez ces femmes qui n'emploient pas les ressources qu'elles possèdent... un vrai gâchis...
  Je n'étais pas préparée à mes 40 ans, ma maison était un endroit si sûr...
J'attends de vos nouvelles...

Sincèrement,
Phyllis M Kennedy
51 Kings Highway
Middletown, N.J.
07748

Cette lettre déchirante était manifestement destinée à Ti Grace Atkinson, en tous cas elle lui est parvenue. Elle date de 1968, mais je pense que sur pas mal de points elle pourrait être écrite aujourd'hui. Elle est préliminaire à son chapitre : Notes pour une théorie de l'identité, qui parle du potentiel humain gâché des femmes, et de l'impossible égalité des droits puisque écrit-elle, "les droits qu'ils possèdent sont les droits de l'oppresseur". A lire cette lettre, le moins que l'on puisse dire c'est que le mariage et la maternité ne sont pas "comblants" comme tentent de nous le faire croire la propagande patriarcale, l'hystérie sur la maternité qui ne serait "que du bonheur", et sur les mères (haro sur celles qui ne le sont pas, il leur manque quelque chose !). Escroqueries destinées à éloigner les femmes des emplois lucratifs et valorisants, du pouvoir et du savoir, j'ai moi-même tâté de leur peur de la concurrence des femmes, effrayantes pour leur carrière, d'autant plus quand nous n'avons pas à la maison de quoi divertir notre potentiel professionnel ou créatif au service d'une famille : pater familias et enfants. Pourtant imaginez : au vu des femmes excellentes qu'à produites l'HIStoire, surmontant des obstacles réputés infranchissables, hostilité masculine, maintien dans l'ignorance et l'analphabétisme, éducation pauvre juste destinée à tenir  décemment l'économie d'un foyer, pas plus, on peut s'émerveiller de tant de contributions de filles et femmes artistes, guerrières, littératrices, fondatrices, médeciennes, philosophes, et physiciennes mêmes !
Alors imaginez des sociétés qui auraient éduqué les femmes de la même manière que les garçons au moins celles/ceux des classes privilégiées, puisque c'était elles qui étaient pionnières en éducation, depuis la Révolution Néolithique, des sociétés où le potentiel de la moitié de l'espèce aurait été exploité et valorisé, l'espèce humaine contemporaine n'en serait-elle pas changée et même améliorée ? Je ne suis pas en train de dévaloriser l'apport des femmes via la maternité, mais leur cantonnement exclusif à cette fonction reproductive est bel et bien un manque et une entrave. A preuve, la lettre ci-dessus.

Les citations suivantes de Ti Grace Atkinson tentent une définition de l'Individu, puis démontrent l'arnaque de l'"égalité" entre sexes. Les hommes, classe d'oppresseurs, cannibalisent à leur profit l'énergie et le génie des femmes : cannibalisme métaphysique.  Imagine-r-on l'égalité maître-esclave dans un système d'esclavage ? Non. L'égalité femmes-hommes nous paraît au moins aussi impossible dans le système du mariage.

Une théorie de l'identité

" Puisque chaque individu nait et meurt seul, et qu'il est lui-même son compagnon le plus fidèle, il semble raisonnable d'affirmer que la réalisation du potentiel humain intéresse d'abord chaque individu. Et la définition de ce "potentiel humain" est évidemment essentielle.
Dans Le féminisme radical : le cannibalisme métaphysique j'ai suggéré que la qualité distinctive de l'humanité est l'imagination constructrice. Le "potentiel humain" peut se définir comme l'exploration et l'expérimentation de toutes les capacités de l'individu, qui se réalisent alors comme la somme et l'ordre de ces activités. Une transposition en images rendra peut-être plus claire l'exposition : imaginez l'individu comme la fusion de l'artiste et de l'oeuvre d'art. L'individu est à la fois le connaisseur, l'être conscient ou objectif, et le processus artistique lui-même, l'aspect inconscient, unique et personnel de l'individu ".

Cannibalisme métaphysique 

" Les Opprimés en rébellion (je prends ici les femmes pour modèles) se lancent habituellement dans la "folie à deux".
La folie à deux est un phénomène psychologique, plus techniquement dénommé "psychose fonctionnelle". On la trouve chez les couples d'individus laissés longuement au contact l'un de l'autre. La folie à deux est le transfert de schémas de réactions anormales d'une personne à l'autre. Les femmes sont atteintes en nombre trois fois plus grand que les hommes, mais cela, on ne le remarque pas. [...]
Je considère que la classe opprimée est victime de la folie à deux. Des preuves nombreuses et variées pourraient étayer ma thèse.
L'ancien Mouvement des Femmes et les fondatrices du nouveau insistaient sur "l'égalité" entre hommes et femmes. "Egalité" étant pris ici au sens "droits égaux", il ne peut s'agir de la même égalité. Du point de vue politique, la classe des hommes est artificielle. Les droits qu'ils possèdent maintenant sont évidemment les droits de l'Oppresseur. Il serait contradictoire, donc impossible, que l'Oppresseur et l'Opprimé puissent jamais avoir des droits "égaux". Folie à deux !
Quand on examine les lois qui le définissent, le mariage paraît favoriser les hommes autant, sinon plus, que l'esclavage favorisait le maître. Et pourtant le Mouvement vise la disparition des abus au sein du mariage, l'égalisation des rôles, mais, pour l'amour de Dieu, le maintien de l'institution. Est-il possible d'égaliser des rôles dont la nature essentielle est de s'opposer ? Aurait-on pu maintenir l'esclavage en "égalisant" les rôles de maître-esclave à ceux de maître-maître ? Folie à deux !
Il est vrai que les hommes autant que les femmes forment une classe. Mais leurs fonctions séparées dans le cadre du système de classe (le système de classes hommes-femmes) rendent toute analogie ultérieure impossible.  
La classe opressive est définie par ses propres membres, c'est à dire par ceux qui obtiennent les avantages découlant de cette définition. 
La classe opprimée représente le cas opposé. Ses membres ne le sont pas par choix, mais par défaut. Ils ne se définissent pas eux-mêmes, ils sont définis par leur classe opposée.
Il est dans l'intérêt de l'Oppresseur de proclamer son identité de classe parce que cette identité lui assure l'expansion de son privilège et, par là, son identité en tant qu'individu. 
Mais la condition d'Opprimé implique tout au contraire la limitation garantie de l'identité dudit Opprimé en tant qu'individu. 
La classe oppressive a besoin du pouvoir pour garder sa position. "

En conclusion : le système de l'esclavage n'a pas été amendé, il n'a pas été "amélioré" pour plus d'égalité entre maîtres et esclaves, il a été déclaré hors la loi, il a été aboli. Subordination d'une classe à une autre, il n'était pas révisable. Et comme l'asservissement des femmes par les hommes est selon des anthropologues la matrice de l'esclavage, le mariage et ses différents avatars sont-ils améliorables en vue de plus d'égalité entre sexes ? Pour Ti Grace Atkinson, féministe radicale, la réponse est non. On n'aménage pas le patriarcat, on le termine.


vendredi 3 novembre 2017

#MeToo Nénette la Planète

#MeToo
#BalanceTonHarceleur
Que va-t-on faire aux #HarveyWeinstein qui harcèlent Nénette la Planète ? (Bridget Kyoto)

La planète terre ou l'écologie c'est pareil. Dans cette vidéo, Bridget Kyoto expose une vision écoféministe de la Planète Terre, pillée jusqu'au trognon par les extractivistes (de métaux, de combustibles fossiles), de la nature, de la biodiversité animale et végétale surexploitées comme une femme sans entrer dans les économies nationales (PIB) et mondiales, donc sans contrepartie, harcelée par le patriarcat, cette religion immémoriale sanctifiant le parasitisme. Voilà, je la trouve pertinente dans la campagne actuelle contre le harcèlement. Alors balançons !



Il ne s'agit nullement dans cette extrait, ou ailleurs dans l'écoféminisme, de renvoyer les femmes à la nature -les femmes sont des êtres construits socialement comme les hommes, quoique différemment, justement pour se consacrer à leur service exclusif-, il est ici question d'une analogie, qui est "une similitude de deux choses, par ailleurs de différentes natures ou classes", selon Wikipedia.

samedi 21 octobre 2017

#BalanceTonHarceleur : enfin elles témoignent

L'affaire Harvey Weinstein producteur hollywoodien de cinéma indépendant accusé de multiples faits de harcèlements et d'agressions sexuelles sur des actrices est en train de délier les langues et sortir les femmes de la sidération où elles étaient. La campagne #balancetonporc, puis #BalanceTonWeinstein, #BalanceTonHarceleur #MeToo #MoiAussi sur les medias sociaux, permet aux femmes qui se sont tues si longtemps de sortir du silence : à moi aussi, c'est arrivé, moi aussi je veux dire, parler et signaler. Le spéciste #balancetonporc était encore dans l'occultation des coupables, les hommes, toujours impossibles à nommer, puisqu'elles préféraient se défausser sur un inoffensif animal leur servant à faire diversion, il est en effet difficile de nommer l'agresseur, puisqu'on vit avec lui, qu'il est potentiellement coupable ou complice d'agressions : en effet, comment penser que tant de femmes soient harcelées, alors que par ailleurs on aurait tiré tous les bons numéros chez soi, mari, amant, garçons adolescents, père ?

Et puis sont venues, en France, celles qui sortent du silencecelles que la crainte de la puissance de leurs agresseurs, leur statut social muselaient : la statue du commandeur, ex ministre, éminent juriste renommé et consulté, œuvrant en retraite dans le domaine social, insoupçonnable ; l'exégète d'un livre patriarcal "sacré", méprisant les femmes et controversé, mais tout de même, pour pas mal de croyants, faisant autorité dans sa discipline ; un cinéaste adulé et palmé à Cannes accusé par la chanteuse Bjork ; tous sont renvoyés au statut de prédateurs sexuels, quelle évolution ! Les hommes politiques fraîchement élus grâce au dévouement et à la compétence d'assistantes hyper efficaces, professionnelles et diplômées, mais précaires en CDD, et bien mal récompensées de leur excellence pourtant, dans l'ombre du grand homme. D'autres viendront que nous devrons écouter et croire.

Bien sûr, des aigris prétendront que concomitamment, elles viennent de publier et qu'elles ont des livres à vendre, mais moi je les crois ! Ils sont tellement puissants, tellement insoupçonnables ! Elles se sont tues si longtemps que leurs agresseurs étaient assurés d'une totale impunité et pour cela même, autorisés à continuer leur prédation. A ceux qui ne les croient pas : se met-on à hurler à l'agression sexuelle en pleine représentation de Wagner à l'opéra ? Qui pourrait croire qu'un "saint" homme qui prêche la "modestie" aux femmes serait un tel rustre brutal ? Et des artistes, donc ?

Malgré une trentaine de témoignage convergents venant du tout Hollywood, et d'actrices françaises ayant eu affaire avec Weinstein, la justice dit encore qu'il n'y a pas de preuves, et Weinstein va s'en tirer, comme DSK s'en est tiré au pénal, tout en étant curieusement condamné à un fort dédommagement au civil : ainsi va la justice patriarcale des agresseurs. Témoin, témoigner viennent du latin testes, testicules, il faut encore dans certains pays que deux ou trois hommes corroborent le témoignage d'une femme, la malédiction de Cassandre joue toujours en notre défaveur. Les gendarmeries et commissariats de police resteront encore des endroits maltraitants et mal accueillants aux femmes victimes de ces agissements malgré leurs propositions opportunistes*, la caste se défend, elle fait corps pour garder encore un peu ses douteux privilèges, mais le silence est rompu, les femmes parlent et, j'espère, n'arrêteront plus de parler. La terreur est en train de changer de camp. Il FAUT qu'elle change de camp, que les agresseurs ne soient plus jamais tranquilles après leurs forfaits. Il faut qu'ils soient dissuadés d'en commettre un de plus. Et pour cela, il faut que les femmes soient écoutées et entendues. Il faut maintenant que toutes les autres femmes n'aient plus peur d'entrer dans un commissariat et de se faire entendre de la justice. Espérons que le mouvement commencé ces derniers jours ne s'arrêtera plus.

* Je ne présage pas de ce qu'il se passe ailleurs mais c'est un peu des paroles verbales comme dit l'humoriste, et ce n'est pas drôle : insultée deux fois en bas de chez moi jeudi, je suis allée vendredi déposer au moins une main courante que j'ai voulu transformer en plainte : la policière m'a écoutée -rien à dire- mais elle a dû aller demander l'avis de son OPJ, qui a dit non, suggérant que je me tourne vers le Procureur de la République. Pas de main courante non plus : il y avait la queue. Bref, les méfaits masculins plus graves sont tels que les plaintes des femmes sont considérées comme secondaires, qu'on traite quand il reste du temps. Et comme il n'en reste pas... Nous sommes apparemment des sous-citoyennes, nos dossiers sont secondaires, la vertu ne paie pas. Il reste le free-lance.

samedi 14 octobre 2017

"Noir désir" : Cantat, poète maudit ?

La couverture mercantile des Inrocks du 11 octobre espérant faire leur pub et une recette record (le scandale paie) lors de la sortie du prochain album de Bertrand Cantat fait couler de l'encre et est prétexte à empoignades sur les médias sociaux. Olympe et le plafond de verre en fait un billet : Cantat, ce héros romantique. Où viennent commenter les habituels masculinistes qui font bloc pour défendre les intérêts des mâles contre des femmes forcément vindicatives, qui exigeraient le silence du poète maudit pour prix des ses péchés qu'il a pourtant payés au purgatoire de la prison. Trouvant qu'ils poussent le bouchon un peu loin, j'ai voulu y aller de mon commentaire, mais pour je ne sais quelle obscure raison technique ou au contraire voulue (?), son hébergeur a décidé que je suis un robot (diable !) et me refuse la publication de mon commentaire. Qu'à cela ne tienne : je le publie ici, en prenant davantage de place.

Je ne reviens pas sur l'explication d'Olympe que je trouve impeccable : la violence contre les femmes a évidemment tout du contrôle social, du maintien de fer du status quo. Mets une gifle (mortelle dans le cas de Cantat à Marie Trintignant) à une, les autres se tiendront à carreau. Et puis, les poètes un peu voleurs, violeurs, assassins ont conquis leurs lettres de noblesse avec le talentueux François Villon : " Frères humains qui après nous vivez, n'ayez contre nous les cœurs endurcis, car se pitié de nous pauvres avez, Dieu en aura plus tôt de vous mercy "*. Tsoin et tout ça, je suis malheureux, j'ai le cœur en bandoulière, j'écris à l'ombre du gibet, Dieu me punit pour mes péchés, aussi n'en jetez plus, ayez pitié la postérité ! L'histoire, la littérature et la poésie sont pleines des contre-exploits sanglants des hommes mâles. C'est ainsi qu'ils font régner la crainte et la terreur.

Donc, selon les commentateurs d'Olympe, c'est de l'acharnement : en substance, ce pauvre Cantat a payé sa dette à la société par une peine de prison, qu'on le laisse désormais en paix, avec le droit d'exprimer son grand talent à base de male tears, en s'apitoyant, un peu à la manière de François Villon, sur son sort de romantique qui a tué l'"objet" de son trop grand amour. Par un tour de passe passe habituel en patriarcat, le bourreau meurtrier devient la victime ! De lui-même, de sa violence intérieure, des circonstances défavorables, voire de la société.

Mais imaginez juste qu'un djihadiste -pour trouver un exemple en restant dans l'actualité, mais ça vaut pour n'importe quel-le terroriste- ayant tué un homme, une femme ou un enfant dans un attentat, qui, dûment condamné par un tribunal et ayant purgé sa peine en prison, reviendrait des années plus tard avec un livre de mémoires ou un album où il étalerait son mal-être comme dans le cas de Cantat, la presse en faisant la promotion en criant au génie maudit ?  Non, bien sûr, c'est inimaginable. D'ailleurs, certains tribunaux interdisent préventivement ces publications de mémoires de criminels dans certains de leurs verdicts. Mais les femmes en tant que groupe social n'ont toujours pas le même traitement : la société s'arroge le droit de leur infliger une double peine, avec le spectacle indécent de la parade de leurs agresseurs. Que la société fiche la paix à Cantat car il a purgé sa peine, cela me paraît juste, mais qu'en contrepartie, lui, nous fiche la paix avec ses états d'âme. En faire commerce et promotion sous le prétexte d'expression artistique est indécent.

* La balade des pendus - François Villon



vendredi 6 octobre 2017

Violence masculine : Las Vegas Shooting, Marseille

Après la succession d'actes de terreur islamique -à Marseille où deux femmes ont perdu la vie-, et de terrorisme machiste à Las Vegas, dont on ne sait rien des motivations du tueur de masse qui a commis le crime à l'arme automatique améliorée, et envoyé 59 personnes à la mort depuis sa chambre d'hôtel, on a vu refleurir sur les ondes les qualificatifs habituels des commentateurs et analystes tétanisés : un dingue, le Mal (Donald Trump), et l'inévitable "loup solitaire", rejetant les malfaisants dans l'animalité en diffamant une bête qui n'y est pour rien, mais que, comme ça tombe bien, l'humanité tue avec des mots depuis le début des temps. Voici la mise au point bienvenue d'un twittos biologiste activiste certainement antispéciste :
Les loups solitaires sont généralement des femelles plus âgées écartées de la meute. Rien à voir avec des terroristes mâles blancs avec 68 fusils automatiques. #LasVegasShooting.

On espère que les journalistes psittacistes toujours incapables de nommer la violence masculine pour ce qu'elle est, à savoir une construction sociale largement encouragée, aux conséquences délétères tolérées par la société, le retiendront. En tous cas, moi je le garde précieusement, il resservira.

Avec environ un mass shooting (déclaré tel à partir de 4 morts) par jour aux USA, le deuxième amendement de la Constitution étasunienne rédigé en 1787 est intouchable malgré le fait qu'il est grandement imprécis, et qu'il a été rédigé au XVIIIème siècle. Les armes y sont en vente quasi libre, il y plus de magasins d'armes aux USA que de librairies. Ce sont les mecs qui sont majoritairement armés aux USA, ceci doit expliquer cela. En revanche l'amendement Roe vs Wade adopté par la Cour Suprême en 1973 garantissant constitutionnellement aux femmes américaines le droit d'avorter, lui, est régulièrement sous les feux de restrictions et sujet à contestations juridiques multiples. Laxisme et tolérance pour les hommes et leurs mauvaises actions, répression féroce envers les femmes : on connaît les méfaits des patriarcaux obscurantistes "défenseurs de la vie" toujours en train d'invoquer dieu, leur sacro-saint père fouettard. La "vie" de membranes de quelques semaines serait sacrée, alors que leur groupe social bute tout ce qui bouge.

Voici ce que préconise Gloria Stenheim pour tout candidat à l'achat d'armes, en l'espèce, les mêmes tests et situations humiliantes que celles auxquelles sont confrontées les femmes qui souhaitent avorter aux USA :
Je veux que chaque jeune homme qui achète une arme soit traité comme une jeune femme qui veut se faire avorter. A savoir : une période d'attente obligatoire de 48 heures, la permission écrite d'un parent ou d'un juge, une note d'un médecin prouvant qu'il comprend ce qu'il s'apprête à faire, l'obligation de passer du temps à regarder une video sur des meurtres individuels ou de masse, voyager des centaines de kilomètres à ses propres frais jusqu'au plus proche magasin d'armes, y accéder à travers une haie des contestataires montrant des photos de leurs proches tués par armes à feu, protestaires qui proclament qu'il est un meurtrier. 

C'est en effet ce que subissent dans pas mal d'états les femmes désirant une IVG déclarée droit constitutionnel (donc fédéral) au pays de la Liberté.
Il est plus que temps de nommer le mal. C'est la condition indispensable pour le combattre. Les femmes qui ont des milliers de raisons de contester le système manquent de temps, vu qu'elles gèrent seules un quotidien accablant, laissant ainsi aux hommes le loisir de ressasser leurs misérables petites frustrations et de préparer leur passage à l'acte.

lundi 2 octobre 2017

Le voile


Le voile est un symbole d'oppression, de ségrégation et d'apatheid sexuel.
Le voile marque délibérément les femmes comme des propriétés privées et restreintes, comme des non-personnes. Le voile place les femmes à part des hommes et à part du monde. Il les contrôle, les confine, il leur inculque la docilité. Un esprit peut être muselé comme un corps peut être entravé. Le voile de l'Islam aveugle à la fois votre vision et votre destinée. Il est la marque d'une sorte d'apartheid, non de la domination d'une race mais d'un sexe.

Ayaan Hirsi Ali

Je pense sincèrement qu'il n'y a qu'un voile : celui de mariée et celui de religieuse sont aussi de paralysants symboles d'appartenance, et ils restreignent tout autant la vue que le voile islamique. Et celles qui les portent revendiquent également leur "liberté de choix" de le porter.

lundi 25 septembre 2017

J'ai été ici

J'étais Bacchante, vache Nantaise de l'écomusée de Rennes. Circa 2006-2017


Je suis née vers 2006 d'une mère inséminée avec le sperme d'un taureau de notre race en voie de disparition, car pas assez productive pour vos standards industriels actuels et vos besoins en lait, fromages et en viande sans arrêt croissants et inextinguibles. J'ai grandi dans cette ferme où je n'ai jamais vu ou approché un mâle de ma race, j'ai été inséminée, par un inséminateur humain, -puisqu'ils contraignent à la reproduction toutes les vaches à traire qui passent à leur portée- avec des paillettes de sperme congelé. Je leur ai donné sous la contrainte 8 veaux et velles de ma belle variété, 8 enfants dont ils m'ont séparée au bout de quelques mois, mes fils taurillons engraissés pour aller à l'abattoir, et mes filles cédées à des éleveurs collectionneurs, enfants que j'ai beaucoup pleurés, car je m'attache à ma progéniture que, comme toute parente, j'aime d'un amour total.

Le simple bruit du moteur de la voiture de leur inséminateur me rendait malade : je me demandais toujours s'il arrivait pour moi ou l'une de mes sœurs d'espèce. Inquiète pendant tout le temps qu'il était dans la cour, j'en pleurais d'angoisse*. Il arrivait qu'il passe juste dire bonjour à la ferme, même ces fois-là m'étaient des tortures. En juillet 2017, après 8 petits mis au monde, atteinte sans doute par la limite d'âge comme prétendent les éleveurs humains, j'ai été vendue à un "marchand" qui m'a conduite dans les jours qui ont suivi à l'abattoir. Voilà le niveau d'ingratitude de l'espèce humaine pour bons et loyaux services rendus : la peine de mort !

Je détestais* votre arrogante espèce sans empathie. Que mon sang, celui de mon peuple, et celui de mes enfants retombe sur vous. Ce que vous faites aux animaux, vous finirez par l'appliquer à votre propre race humaine. Je crois savoir que vous l'avez déjà fait.

* Selon mes observations éthologiques, phénomènes constatés en plusieurs occasions : j'ai observé que Bacchante était perturbée par le bruit du moteur de la voiture de l'inséminateur qu'elle reconnaissait quand il arrivait dans la cour, et qu'elle en pleurait ; si elle était couchée, elle se levait, roulait des yeux, piétinait, allait et venait sans repos autant que son attache courte le lui permettait, et du mucus salivaire coulait de son museau. A chacun de mes passages, elle menaçait des cornes et de ruades qui tentait de l'approcher. Ce billet est écrit pour perpétuer sa mémoire d'être vivant et sensible : she has been there. L'espérance de vie d'une vache est de 18 à 22 ans dans des conditions normales de non exploitation industrielle.

Les fermes conservatoires sont des applications de l'élevage hors sous-produits de la reproduction : on y fait faire des petits aux animaux pour conserver la race, on ne les trait pas, les lactations servent exclusivement aux petits qu'on éloigne de leur mère quand elle prend fin. Les mâles y sont considérés comme partout ailleurs, improductifs, voire nuisibles, car dévoreurs de ressources, ils sont donc impitoyablement envoyés à l'abattoir s'ils ne trouvent pas preneur. Enfin, ces fermes perpétuent les techniques d'élevage sans remettre en cause leurs principes basés sur l'exploitation inquestionnée  et inquestionnable des animaux, et plus particulièrement celle, massive, du corps des femelles animales.



Manifestation nationale en France et internationale le 26/9/17 organisée par 269 Life Libération animale.
Où trouver un événement près de chez vous en cliquant sur le lien ci-dessous vers leur Facebook.  

Actualisation 27/9/17 
Nuit debout devant l'abattoir Kermené à Saint Jacut de Mené (Collinée - Côtes d'Armor) :
Une bonne trentaine de militant.es de la cause animale, des gendarmes, le maire de Saint Jacut et un de ses adjoints, la Coordination Rurale qui fait un barbecue donc des fumées à plusieurs centaines de mètres (les gendarmes qui veillent au grain ont aménagé des barrières de protection sur les accès, et le rond-point est filtrant), des camions frigorifiques qui sortent toute la nuit les corps découpés des victimes animales de la journée de tuerie, la presse (l'inévitable François Coulon d'Europe 1, France Bleu, Le Petit Bleu des Côtes d'Armor, Ouest-France) et... trois policiers du renseignement intérieur -DGSI, oui ceux qui courent après les djihadistes !- qui prennent les noms, prénoms, adresses et dates de naissance des militantes de la cause animale. Je ne suis pas sûre qu'ils aient fait la même chose avec les gens d'en face ;(( L'opaque industrie des abattoirs se veut intouchable. Nous avons veillé de 18 H à 3 heures du matin en hommage à tous les animaux tués dans cet abattoir, l'un des plus grands d'Europe, qui appartient au Groupe d'hypermarchés Leclerc.








Lien : Le Facebook de 269 Life LA reportant l'événement.


lundi 18 septembre 2017

Le sang des femmes


A paraître le 20 septembre, cette réédition mise à jour sur les menstruations : tabous et réalités. Écrit par une médecin (médecienne ?), la docteure Hélène Jacquemin Le Vern : c'est très factuel et didactique, en deux parties. Une première partie sur les règles à travers les âges et les cultures humaines, les mythologies et les injonctions (patriarcales), les fantasmes. Et partie 2 : le sang menstruel (qui n'est pas du sang, puisqu'il ne coagule pas) au cours de la vie des femmes. Règles, contraception, troubles et maladies, grossesse, aménorrhée, et enfin, ménopause (qui n'est pas une maladie contrairement à certaine dramatisation médicale), tout est abordé. C'est très "tiret à la ligne", sans prétention littéraire, et c'est très bien. A mettre entre toutes les mains de 11 à 60 ans. Pour en finir avec les mystifications, les dramatisations, et les fantasmes.

oOo

En faisant des recherches sur Françoise d'Eaubonne (Fd'E), je suis tombée sur cette archive de Médiapart pour le dixième anniversaire de sa disparition en 2005. L'auteur de l'article se remémore son dernier roman paru en 2003, L'évangile de Véronique, donnant très envie de le lire. Je l'ai trouvé sur MarketPlace d'Amazon, leur plateforme de revendeurs. Le mien, en très bon état, m'a été envoyé par une boutique d'association humanitaire à destination des enfants. Un "évangile de lumière" : un chef d’œuvre féministe. Par l'ampleur du récit et son érudition, il m'a rappelé Les Guérillères de Monique Wittig, c'est dire !


Je mets cette lecture sous le même titre, car c'est aussi une affaire de sang, le sang des femmes et le sang du Christ. Véronique (Vera Icona) a-t-elle existé ? Mystère. " Une tradition gnostique identifie Sainte Véronique à l'hémoroïsse guérie par le Christ peu avant le calvaire ", écrit Françoise d'Eaubonne. Peu importe, puisqu'elle est le prétexte pour l'anarchiste d'inspiration chrétienne qu'est Fd'E à écrire un évangile de femme, témoin distant, hors du cercle des apôtres et de la famille, puisqu'elle ne rencontre le Christ que trois fois. Véronique souffre de ménorragie ou hyperménorrhée : règles abondantes et prolongées, une affection très commune. Sauf que Véronique est juive, donc "impure" en période de règles selon la tradition hébraïque misogyne, et les siennes ne s'arrêtent pas. Le Christ, par un simple contact avec son manteau va la guérir involontairement. Véronique est tisserande artisane. Elle tisse des pièces de lin sur commande. Elle est amie avec Marie de Magdala, qualifiée de "prostituée" par les quatre évangiles canoniques : Fd'E en fait une femme libre, qui a des amants, elle est dans le premier cercle des fréquentations du Christ qui l'apprécie bien. La deuxième rencontre ce sont les marchands du Temple et la grosse colère de Yaésou, moment où Véronique pense que s'il continue comme ça, il va énerver le Sanhédrin ! Enfin, la troisième rencontre, c'est lors de la montée vers le supplice, où par un pur geste de compassion, Véronique éponge le visage ensanglanté du Christ avec un voile de lin. C'est la seule fois où ils se voient en face. Véronique ne fait bien sûr pas partie des "saintes" femmes qui témoignent de la résurrection du Christ : elle est même plus que dubitative. Elle est amie avec une "domina" romaine qui n'y croit pas non plus, et qui lui donne même une explication plausible de ce qui se serait passé ! A 70 ans, proche de la mort, Véronique repensant au Christ se dit qu'il est peut-être quelque part, au même âge qu'elle. Ceux qui l'inquiètent, ce sont Simon Pierre et sa dureté envers les femmes, un certain Paul, ex percepteur de l'occupant romain, converti prosélyte qui répand partout la doctrine du Christ, et l'ecclesia en devenir dont elle soupçonne qu'elle va perpétuer la tradition juive haineuse de la "race des femmes".
C'est beau, c'est magnifiquement écrit, c'est érudit, c'est féministe. Et c'est épuisé chez l'éditeur ! Mais qu'est-ce qu'on attend pour rééditer cette auteure fabuleuse qu'était Françoise d'Eaubonne ?

Et je reviens au Sang des femmes de Hélène Jacquemin Le Vern. A propos de l'hémorroïsse, dans la première partie du livre, voici ce qu'elle écrit comparant la tradition juive et la "révolution" christique/chrétienne :
" Face aux prescriptions bibliques qui régissaient la vie de la communauté juive où il a pris naissance, le ministère de Jésus est placé sous le signe de la transgression. L'épisode de l'hémorroïsse raconte l'histoire d'une femme atteinte d'hémorragies génitales rebelles depuis plusieurs années, guérie après avoir délibérément touché le vêtement du Christ. Cette femme a sciemment transgressé la loi d'impureté judaïque, ce que Jésus à reconnu devant la foule comme un acte de foi, plaçant ainsi la foi au-dessus de la Loi. Jésus n'a pas ajouté d'interdits sexuels précis aux prescriptions de l'Ancien Testament. Il a même supprimé la suspicion juive de l'impureté des femmes. "

Quoiqu'il en soit, tordons de coup aux fantasmes. les règles ne sont rien d'autre qu'un signe de bonne santé et une promesse de vie : votre corps fonctionne bien, il est prêt pour une éventuelle grossesse, il n'y a pas d'obligation, c'est juste le rappel d'une potentialité. Il faut vraiment être vicieux comme des tenants de toutes obédiences patriarcales pour y voir un signe de mort et d'impureté.