jeudi 25 août 2016

La maternité : construction sociale sous la contrainte


" La question [est] de savoir si la "sexualité" n'est pas pour les femmes une expression individuelle, subjective, mais une institution sociale de 
violence ". Monique Wittig 1980.

Rapt de jeunes filles dans des villages africains, simulation d'enlèvements dans des régions du Moyen-Orient, initiation à la sexualité par le viol, voire le viol en réunion chez certains peuples premiers, mariages des fillettes, interdiction de la contraception et de l'avortement, -même dans nos pays dits évolués ce droit durement acquis par les femmes peut à tout moment être remis en cause-, injonction à la maternité partout, une femme célibataire sans enfant servant de repoussoir à toutes les autres puisqu'elle aurait forcément raté une vie d'épouse et de mère selon les critères patriarcaux, "devoir conjugal" imposé (le viol dans le mariage n'est reconnu que de façon récente dans une petite poignée de pays), les abondants mythes sur l'enlèvement des Sabines, d'Europe ou d'Orithye (ci-dessous) et leurs représentations dans nos musées, la prohibition des armes pour les femmes dans toutes les sociétés humaines (voir le billet précédent sur Jacqueline Sauvage), leur interdisant de fait de se défendre : proies d'abord, accablées d'enfants ensuite, elles ne peuvent pas courir ni s'enfuir ; ajoutez l'excision qui a eu cours dans toutes les sociétés, dont le but est de faire que les femmes n'aient pas d'appétit pour les rapports sexuels (douloureux) ou en tous cas de bien les calmer, vous avez la démonstration que la phrase de Wittig ci-dessus est exacte. L'espèce humaine est, par rapport à d'autres espèces de mammifères, peu prolifique selon les anthropologues, si nous avons réussi à peupler la terre, c'est par la contrainte faite aux femmes. A la schlague.

Enlèvement d'Orithye par Borée - Attribué au florentin Cosimo Ulivelli, peintre baroque du XVIIème siècle - Musée de Dole

"Le domptage meurtrier des femmes pour en faire des corps-outils de reproduction" : voici quelques proverbes. De Virginie (USA) "garde-les nu-pieds et enceintes" ; du sud de l'Italie "pour garder la femme à la maison, cache ses chaussures et engrosse-la" ; dans la campagne toscane "Un an la mamelle, un an le gros bide, ça va bien la coincer". Donc, "immobiliser les femmes pour les faire engendrer, les féconder pour les immobiliser". In Paola tabet : La construction sociale de l'inégalité des sexes.

Mais si elles cèdent, elles ne consentent pas !

" A l'inverse du discours masculin qui se déploie sur le mode de la glorification et même de la vantardise, c'est sur le ton de la complainte que se déroule le discours féminin. En dépit de la tendresse qui entoure son enfance, la petite fille s'instruit vite du sort qui l'attend après son mariage : son rôle, sa raison d'être même sera de fournir à la lignée de son mari progéniture et main-d’œuvre. Le mariage qui lui est présenté comme une rupture brutale (et on la convainc que tel est le cas) entre une enfance choyée et une vie de production et de procréation forcenées. Des chants mélancoliques lui enseignent la douleur d'être séparée des siens, livrée en échange de quelques vaches, promise à une vie lointaine et dure dont aucun de ses frères n'ira la libérer. Elle apprend que de son bonheur nul ne se souciera. 
Aucune compensation ne viendra éclaircir l'horizon de la jeune fille, si ce n'est la perspective bien lointaine d'établir un jour ses enfants et, satisfaite du devoir accompli, de se décharger des tâches domestiques sur ses belles-filles et de jouir tranquillement du respect général. ; cela revient, pour l'épouse, à ne s'épanouir que lorsque cesse sa vie biologique de femme. Aussi voit-on des mariées en pleurs. On va même dans certaines régions, jusqu'à leur bander les yeux au moment de partir en cortège nuptial, pour les désorienter et ainsi les empêcher symboliquement de revenir chez elles. " In L'anatomie politique - Nicole-Claude Mathieu

Vous me direz sans doute que ceci n'a plus cours chez nous aujourd'hui ? Que le mariage est devenu une sympathique fête de famille un peu vulgaire, mais bien inoffensive ? Détrompez-vous : la pression sociétale à la maternité à toujours cours, et nous ne valons que par le nombre d'enfants produits ; et la culture du viol nous rappelle sans cesse que nous arrivons de là, nous les femmes. Cela pèse sur notre histoire collective et c'est profondément inscrit dans notre psychisme. Et il faut marteler qu'élever des enfants dans une société où la richesse produite est comptabilisée selon les critères marchands du travail posté masculin, généralement destructeur, fait que la maternité contribue à l'affaiblissement économique des femmes, qu'elles y sont exploitées, puisque l'élevage d'enfants, tout en étant valorisé et présenté comme l'aboutissement d'une vie de femme, est un dû, issu des corvées et du servage, il doit être fait BENEVOLEMENT !

Culture de la contrainte et du viol : les musées et jardins publics (sans parler des productions de pop culture : cinéma, BD... ) servent d'omniprésents rideaux de scène de théâtre pour nous rappeler la
menace :

Enlèvement d'Orithye par Borée - Musée des Beaux-Arts de Rennes par François-André Vincent, Tableau peint au XVIIIème siècle.

Rappelons toutes ces scènes violentes d'enlèvements de Sabines, d'Europe, les razzias des émirs d'Orient, où les femmes sont enlevées et partagées entre chefs et soldatesque selon des critères de jeunesse et de beauté : il y en a au moins un par musée ! Les mythes sont centrifuges et rapportent des histoires vraies. Une anecdote sur Rennes et ce tableau qui fait partie de sa collection permanente du musée des Beaux Arts : en 2014, lors d'une visite, je tombe sur une salle dédiée à l'art contemporain où, avant la porte, un avertissement met en garde les parents d'enfants en bas âge sur certaines "scènes explicites" pas forcément destinées à ceux-ci ! Je rentre dans la salle et (effectivement ?) il y a un grand tableau figuratif moderne à la peinture acrylique représentant une femme à la renverse, avec sur le visage et le cou des taches blanches translucides : le titre précise que c'est une "éjaculation faciale". Bon. Mais des enfants jusqu'à 15 ans savent-ils distinguer une éjaculation faciale, dans un musée de surcroît, et sont-ils censés même connaître l'expression ? Sauf à avoir été mis en présence de pornographie, ce qui peut être le cas, j'ai des doutes. Après visite de la salle, je sors en tournant à droite et j'arrive en face de cet enlèvement d'Orithye, et là, pas d'avertissement spécial sur la violence de la scène. Étrange, non ? Dans la même salle, il y a des descentes de croix du corps supplicié du Christ, des quantités de femmes à loilpé, peintes par des hommes, de préférence entourées de mecs habillés, ce qui représente la disponibilité sexuelle, mais motus. C'est de l'aarrrrrt !

Bah, au jardin des Tuileries, une des promenade favorite des nounous parisiennes, on peut voir ça :

toujours la même Orithye, qui est toujours enlevée par Borée ! Par Eugène Atget - XIXème siècle

Que dire à une petite fille intriguée par la scène et qui pose des questions, m'a demandé une de mes abonnées Twitter ? Eh bien, c'est le moment où jamais de faire preuve de pédagogie : dites-lui que c'est un vilain monsieur qui s'attaque à Orithye et que, d'ailleurs, on peut voir qu'elle n'est pas d'accord et se débat. Et que c'est exactement comme cela qu'il faudra qu'elle fasse si, on ne sait jamais ça pourrait arriver, un vilain monsieur qu'elle ne connaît pas voulait l'emmener quelque part où elle ne veut pas aller : elle crie très fort, appelle au secours, griffe, mord et se débat. C'est mieux d'en faire une Zazie dans le métro avertie et offensive, qu'une fille crédule, prête à suivre le premier néfaste venu, je trouve. Mais je sais que pas mal vont trouver pas bien du tout de les effrayer avec la simple évocation des habitudes de prédations masculines largement tolérées par la société : après tout elles DEVRONT s'en trouver un présentable de mec un jour. Vous voyez, la boucle est bouclée, le piège se referme.

ACTUALISATION 27 août 2016 : Les chibok Girls, enlevées de leur école le 14 avril 2014 par la secte islamiste Boko Haram, selon le principe de la razzia, sont en captivité depuis 866 jours aujourd'hui. Destin imposé : viols, contrainte à la procréation et à la reproduction. Rendez-nous nos filles ! Bring back our girls !

 Photo : Nigeria Today

1 commentaire:

  1. La fille est aussi une sorte d'esclave,dés lors qu'elle est séparée de son cocon familiale protecteur,lorsqu'elle en a un . Sans cette place reconnue dans nos société,elle peut être a tout moment happée par la loi de la jungle et devenir esclave ou tout peut lui arriver ?Combien disparaissent ainsi ? La liberté lui est aussi acquise .Elle peut ainsi céder a ses instincts pour créer un foyer .....................

    RépondreSupprimer