dimanche 31 juillet 2016

Masculinité toxique : déni des hommes libéraux

Cette semaine je vous propose traduit, avec son accord, cet article de @MayorWatermelon, environnementaliste radical, pro-féministe, selon son profil Twitter. Les tueries de masse individuelles (Andreas Lubitz), d'extrême-droite -Anders Breivik-, les actes terroristes dijhadistes : Paris, Orlando, Nice, Munich, Saint-Etienne du Rouvray..., pour ne citer que les plus récents, sont perpétrés par des hommes à 99 %. Prenant conscience de l'horreur, des mouvements libéraux aux USA, mais aussi en Europe, -souvent masculinistes- souhaitent restaurer l'image du masculin en promouvant une "masculinité saine". Cet article leur répond.

Mass killers don't have a warp view of masculinity -liberal men do " - texte original en anglais.
" Les tueurs de masse n'ont pas une vision pervertie de la masculinité, mais les hommes libéraux, oui.


Il y a quelque chose de mauvais chez les hommes, quelque chose d'évidemment, indéniablement, tragiquement mauvais.
 
Il y a quelque chose qui nous conduit à violer, battre, acheter et vendre des femmes. Il y a quelque chose qui nous conduit à transgresser, puis à en rire, et à atteindre l'orgasme à travers cette transgression. Il y a quelque chose qui nous conduit à nous tuer les uns les autres, à exécuter nos partenaires et nos enfants.

Quelque chose nous conduit à brûler des cités entières, à lâcher des bombes, à déclarer des guerres et envahir les nations, à conquérir des terres libres et les faire nôtres. Et il y a quelque chose qui nous emmène dans des salles de cinéma, des centres commerciaux, des écoles élémentaires, avec des fusils en bandoulière.

Nous avons concocté tant de raisons pour faire ce que nous faisons : la Religion, la politique, la maladie mentale, la nature humaine, une folle fierté. Pourtant les femmes pratiquent aussi des cultes, votent, tombent malades, partagent également l'entière expérience humaine, tout ça sans pour autant décider de tuer des étrangers dans une ultime explosion de violence.

Les femmes commettent peut-être un dixième de tous les meurtres, et moins d'un dixième d'un pour cent de toutes les tueries de masse. Quand on enlève du panel des tueurs toutes les femmes qui tuent en situation de légitime défense des agresseurs étrangers ou des partenaires, le chiffre descend encore. Nier la nature spécifique des atrocités masculines est se duper soi-même.

Il y a une psychologie, pas une biologie, qui accompagne ces crimes ; nous ne tuons pas pour ce que nous sommes, mais pour qui nous sommes. Un système de croyances sur le monde, une collection de désirs et de fantasmes déterminent la signification de la masculinité beaucoup plus que la densité osseuse ou la forme génitale. Cette idéologie est la même, que ces crimes soient commis en privé contre une épouse ou une amie, ou fièrement contre le reste du monde vivant.

Le droit, la rage, la brutalité, le désir pathologique de franchir les frontières de l'Autre définit aussi bien Christophe Colomb et Andrew Jackson*, que Ted Bundy* ou Eric Harris*. Ces actes sont unis par un ensemble de traits, liés ensemble à travers l'histoire. Il y a un mot pour ce qui ne va pas chez les hommes. Il y a un tas de mots, bien sûr. Mais il y a un seul mot qui signifie tous les autres.

Le mot pour ce qui est mauvais chez les hommes apparaît momentanément dans toutes les tueries de masse, mais il est toujours accompagné. Ce mot est masculinité, et ses addenda sont nombreux dans le discours public : Confus. En crise. Défectueux. Perverti. Un article récent proclame que les hommes tuent sur des parkings d'universités parce qu'on leur enseigne une "vision défectueuse de la masculinité". Un autre se lamente sur la façon dont l'Amérique nourrit "des conceptions toxiques de ce qu'est être un homme".

Ce qu'implique l'omniprésence de ces adjectifs est clairement que la violence masculine a ses racines dans une incompréhension fondamentale de la nature de la virilité, pas de la virilité elle-même.

Il y a sûrement pas mal d'hommes dont la compréhension de la masculinité est tragiquement une illusion -malheureusement, ce sont ceux qui écrivent tous ces éditoriaux, pas ceux qui tirent dans les écoles. Les hommes qui tuent ou violent au hasard, ceux qui battent leur femme et leurs enfants à mort ne se trompent pas sur la masculinité. Leur violence psychotique, leur vide émotionnel, leur cruauté aveugle, montrent qu'il la comprennent parfaitement -mortellement bien.

Répondre au rejet par une femme en tirant sur neuf étrangers puis sur soi-même, c'est exprimer le diktat d'une masculinité dans sa forme la plus concentrée : exigez ce que vous voulez. Utilisez la violence pour le prendre. Détruisez ce que vous ne pouvez avoir. C'est l'idéologie de la virilité. Il n'y a rien de défectueux, confus ou imparfait à son propos. Et ce n'est pas non plus une forme toxique de quelque chose de bénin ailleurs.

La vraie confusion toxique de ce que signifie la masculinité se trouve chez les réformateurs, ces hommes qui espèrent remplacer dix mille ans de psychologie de la domination par une "masculinité saine" composée de gentillesse, de compassion, de leadership et de désir de disposer. Il n'y a aucun moyen de façonner une psychologie sex-spécifique à partir d'une décence humaine de base. Ces traits se sont manifestés à travers l'histoire par les hommes comme par les femmes ; mais la violence de hasard et les explosions de rage sont généralement du domaine des hommes.

Il n'y a jamais eu besoin d'un mot pour décrire la psychologie d'un homme adulte sain et fonctionnel en dehors de c'est une "bonne personne". Il y a eu, cependant, un très pressant besoin de créer un mot pour les qualités dont les hommes ont besoin pour garder leur pouvoir sur les femmes.

La plupart des traits qui définissent la notion libérale de "masculinité saine" ne peuvent être débarrassés de leurs racines patriarcales. Il n'y a rien de sain dans la notion que les hommes sont les uniques pourvoyeurs, défenseurs ou leaders. Historiquement, l'association hommes et protection accompagne l'association femmes et propriété, tout comme le rôle de mâle leader existe avec le parallèle de la femme disciple.

Ces interprétations supposées éclairées de la masculinité reposent sur et perpétuent un système de division genrée où les hommes maintiennent un contrôle tacite sur les femmes. La vision réellement progressiste qu'aucun comportement n'est valable plus ou moins en fonction de son appareil génital, n'a aucune place dans le réformisme néo-romantique de la virilité moderne.

La notion libérale de "masculinité saine" est soit un détournement, soit un mensonge. Détourner la masculinité en un terme vide non distinguable
d' "humain décent" peut être a-historique ou dénué de sens, ou le fait d'un patriarcat bénin qui confirme la stratification sexuée au cœur du pouvoir mâle. Mais ce que cela ne peut être, c'est un antidote à la psychologie militarisée de la domination qui conduit aux atrocités masculines allant des tueries de masse aux génocides.

Il y a quelque chose de mauvais chez les hommes -quelque chose d'évidemment, d'indéniablement, de tragiquement mauvais. Cependant ce n'est pas particulièrement perçu comme mauvais par les hommes en ce sens que les explosions de violence font beaucoup pour maintenir et renforcer la main de fer du pouvoir que nous avons sur les femmes. Le concept de "masculinité saine" permet aux hommes libéraux de partager ce pouvoir incontesté tout en prenant leurs distances par rapport au sale travail requis pour le maintenir.

Célébrer une masculinité saine, c'est célébrer une version aseptisée du massacre, quelque chose qui nous accorde l'entrée dans un club exclusif, sans exiger de sacrifice. Un homme pourrait être tendre, faire l'amour avec douceur, pleurer occasionnellement, le tout dans le confort de l'idée que pendant qu'il pleure, réconforte et baise, d'autres hommes hurlent, battent et violent, pour s'assurer que son pouvoir reste incontesté ?

Si nous voulons sérieusement mettre un terme aux tueries de masse, et dans une moindre mesure au viol et à la violence conjugale, nous ne pouvons pas nous permettre de nous exonérer de ces crimes en utilisant les mots "toxiques", "confus", ou "perverti". La masculinité en elle-même est toutes ces choses bien sûr, invariablement toxique, invariablement confuse, et invariablement pervertie. Mais si la compréhension que les hommes violents ont de la masculinité est chez eux bien repérée, ceux qui fantasment une masculinité purgée de la violence et de la cruauté, ceux-là se trompent désespérément de projet.

La société ne nous enseigne pas des idées toxiques à propos de la virilité. Elle nous apprend une idée toxique appelée virilité -une idée dont quantité de réformes ne pourront faire l'économie. "
@MayorWatermelon

*Respectivement, après Colomb découvreur de l'Amérique, donc colonisateur précurseur, 7ème Président des Etats-Unis, tueur en série et tueur de masse.

dimanche 24 juillet 2016

Végane contre Cro Magnon #Round1

J'ai trouvé cette amusante quoique didactique vidéo sur Twitter. Jihem Doe (@JihemDoe), un végane a déniché, on ne sait comment, dans les profondeurs du Net, un CroMagnon plombant expliquant pourquoi il n'est pas "vegan" (prononcer végan en nasalisant pour faire couleur locale authentique) et comment les "végans" lui cassent les couilles, en atteignant comme il se doit le caricatural point Godwin qu'on ne présente plus : vegan = nazi. Jihem Doe, sur sa chaîne Youtube, démonte point par point ses arguments pendant le temps de cuisson de son boulgour (?) et en faisant surtout un gros boulot de montage d'images et de sons. C'est argumenté, efficace, enlevé et très drôle. Et c'est parfait pour l'été. Enjoy.



PS : En ces périodes de férias qui se perpétuent malgré l'état d'urgence car, "il est important que nous conservions notre art de vivre" SIC, ai-je entendu sur Itélé à propos de Bayonne, je dédie cette image aux villes taurines qui dérogent aux lois de la République et à la démocratie (73 % des français sont contre), une honte qui se perpétue à cause d'une tolérance à la loi pour cause de tradition machiste.
Stop à l'exception,
Stop à la cruauté,
Stop aux pratiques de la virilité,
Stop au machisme,
Stop à la torture des animaux.

"Les animaux sont des êtres sentients" Traité d'Amsterdam - 1997 - Ratifié par la France en tant qu'extension du Traité de Rome.

samedi 16 juillet 2016

La maison des hommes

"Ô pourquoi Dieu Créateur sage qui peupla les plus hauts cieux d'esprits mâles, créa-t-il cette nouveauté sur la terre, ce beau défaut de la 
nature ? Pourquoi n'a-t-il pas tout d'un coup rempli le monde d'hommes comme il a rempli le ciel d'anges sans femmes ? Pourquoi n'a-t-il pas trouvé une autre voie pour perpétuer l'espèce humaine ? Ce malheur ni tous ceux qui suivront ne seraient pas arrivés..."
John Milton - Le Paradis perdu

Ségrégation sexuelle, exclusion des femmes, entre-soi masculin :
Je vous propose cette semaine un texte de Kate Millett, tiré de La politique du mâle, texte dans lequel elle évoque la ségrégation sexuelle imposée aux femmes par la société patriarcale. Dans nos sociétés "modernes", cela perdure dans les cérémonies de bizutage/initiation (prohibées par la loi) dans certaines écoles et corps militaires, et via des agressions sexuelles (partis politiques, pompiers : une affaire récente à Halifax) envers les femmes qui tentent de faire carrière dans des corporations masculines et qui se font ainsi rappeler qu'elles n'y sont pas légitimes, sauf à en accepter les immuables "traditions" humiliantes de la maison des hommes. Laquelle est, comme les armes et les outils, taboue pour les femmes.

" Typiquement le mythe patriarcal postule un âge d'or qui aurait existé avant l'arrivée des femmes ; en même temps, ses pratiques sociales permettent à l'homme de se libérer de leur compagnie. La ségrégation sexuelle est si répandue qu'on la rencontre partout. Dans les patriarcats contemporains, presque tous les groupes puissants sont composés d'hommes. Mais ceux-ci forment aussi d'autres groupes qui leur sont réservés à tous les niveaux. En règle générale les groupes de femmes ont un caractère auxiliaire, imitent les objectifs et les méthodes des hommes, s'occupent de choses peu importantes et éphémères. Il est rare qu'ils fonctionnent sans recourir à l'autorité masculine : les groupes religieux font appel à l'autorité supérieure d'un membre du clergé, les groupes politiques à celle de législateurs mâles, etc.

Là où il y a ségrégation sexuelle, les différences de comportement imposées par la culture deviennent très flagrantes. Cela est particulièrement vrai de ces organisations exclusivement masculines que l'anthropologie désigne généralement sous le nom de "maisons des hommes". Dans les sociétés primitives, la maison des hommes renforce l'expérience communautaire masculine au moyen de danses, de conversations, de divertissements et de cérémonies religieuses. C'est aussi un arsenal où sont entreposées les armes des mâles.

David Riesman a remarqué que les sports et quelques autres activités offrent aux hommes une solidarité et un soutien que la société ne prend pas la peine de fournir aux femmes. La chasse, la politique, la religion et le commerce peuvent jouer un rôle ; le sport et la guerre sont toujours le grand ciment de la camaraderie masculine. Les spécialistes de la culture dite de la maison des hommes, de Hutton Webster et Heinrich Schurtz à Lionel Tiger, sont souvent des patriotes du sexe, dont le but est de justifier l'apartheid que cette institution représente. Shurtz croit qu'un esprit grégaire et un désir de plaisirs fraternels pris au milieu de leurs pairs chassent les hommes loin de la compagnie inférieure et restrictive des femmes. Persuadé qu'un "lien instinctif" d'espèce mystique existe chez les mâles, Tiger exhorte néanmoins le public à préserver du déclin, grâce à un effort organisé, la tradition des hommes. Celle-ci a une autre fonction moins sympathique qui passe souvent inaperçue : elle est le centre du pouvoir dans un état d'antagonisme sexuel.

En Mélanésie, la maison des hommes joue plusieurs rôles : c'est à la fois un arsenal et l'endroit où ont lieu les cérémonies d'initiation rituelles réservées aux hommes. Son atmosphère n'est pas très éloignée de celle qui règne dans les institutions militaires du monde moderne : odeurs d'efforts physiques, de violence, de tueries, de pulsions homosexuelles. C'est là qu'on procède aux scarifications, qu'on fête les chasseurs de têtes, qu'on fait assaut de vantardises. Là qu'on "endurcit" les jeunes gens sur le point de devenir adultes. Dans la maison des hommes, ces garçons occupent une situation si inférieure qu'on les appelle souvent "les femmes" de leurs initiateurs, ce terme de "femme" impliquant à la fois leur infériorité et leur état d'objet sexuel. Ceux qui n'ont pas encore subi les épreuves suscitent l'intérêt érotique de leurs supérieurs, relation que l'on rencontrait aussi dans l'ordre des samouraï, dans le clergé oriental et dans le gymnase grec. La sagesse primitive décrète que pour inculquer au jeune l'éthique masculine, il faut d'abord l'intimider en lui imposant un statut de tutelle, celui de la femme. Ce commentaire d'un anthropologue s'applique aussi bien à la pègre de Genet, ou à l'armée américaine de Mailer : "Il semblerait que les brutalités sexuelles exercées sur le jeune garçon et l'effort fait pour le transformer en femme rehaussent le désir de puissance du guerrier plus âgé, satisfont son hostilité à l'égard du concurrent mâle qui s'achemine vers la maturité, et enfin, quand il l'introduit dans le groupe des hommes, renforce la solidarité masculine par le biais de cette tentative symbolique dont le but est de se passer des femmes". Il est courant dans le patriarcat que les mâles les plus faibles soient assimilés aux femmes. Comme tout processus secret, l'initiation, une fois subie, crée des disciples qui en seront toujours les ardents défenseurs et qui infligeront avec joie leurs souffrances passées au nouveau venu.


Il existe un terme psychanalytique pour désigner le ton adolescent qui imprègne la culture dite de la maison des hommes : c'est "l'état phallique". Citadelles de la virilité, ces institutions renforcent les caractéristiques du patriarcat les plus fortement orientées vers le pouvoir. L'anthropologue et psychanalyste hongrois Géza Roheim souligne le caractère patriarcal de cette organisation dans les tribus pré-alphabétisées qu'il a étudiées : il parle, en définissant leurs pratiques communautaires et religieuses, d'un "groupe d'hommes unis dans le culte d'un objet qui est un pénis matérialisé et excluant les femmes de leur société". Le ton et la culture dite de la maison des hommes sont sadiques, orientés vers le pouvoir, homosexuels de façon latente, fréquemment narcissiques dans leur énergie et leurs mobiles. Il est clair que le pénis y est considéré comme une arme, souvent mise en parallèle avec les autres. La pratique qui consiste à châtrer les prisonniers est en elle-même un commentaire sur la confusion culturelle qui s'établit entre l'anatomie et le statut d'une part, l'armement de l'autre. L'aura qui entoure la camaraderie masculine en temps de guerre provient en grande partie de ce que l'on pourrait appeler "une sensibilité dans le style de la maison des hommes". Ses aspects sadiques et brutaux  se déguisent en gloire militaire et adoptent une forme particulièrement écœurante de sentimentalité masculine. Cette tradition est très présente dans notre culture, et l'on peut considérer l'intimité héroïque d'Achille et de Patrocle comme sa première formulation dans la littérature occidentale. Il est possible d'en suivre le développement à travers l'épopée et la saga jusqu'à la chanson de geste. Elle fleurit encore dans le roman et le film de guerre, sans parler de la bande dessinée. "  Kate Millett

Édition de poche Points Actuels- Pages 63 64 65 - Les caractères gras sont de mon fait.

jeudi 7 juillet 2016

Introduction au carnisme - Melanie Joy

Il y a quelques temps, le mari d'une amie enceinte annonçait la prochaine naissance à ses collègues de travail ; après l'avoir félicité,ceux-ci sachant qu'il est végétarien* lui posent la question qui leur brûle les lèvres : "Et bien sûr, ta femme et toi allez imposer à votre bébé votre mode d'alimentation végétarien ? Réponse du futur père : "Exactement, on va faire comme vous qui imposez sans questionnement à vos enfants la violence de la viande, nous on va le nourrir sans violence. Quand il/elle sera adulte, elle choisira, nous lui aurons donné tous les éléments de réflexion."


" Le carnisme est le système de croyances qui nous conditionne à manger certains animaux ".
Le carnisme est une idéologie invisible dominante et inquestionnable, une norme qui maintient la société sous son emprise par tous moyens à sa disposition : politiques, lobbying, mensonges à répétition qui font à force,comme on le sait, une vérité, un processus naturaliste, une construction sociale qui se fait passer pour naturelle. A tel point que toute personne qui la conteste est désignée comme "extrémiste irrationnelle", impliquant qu'en face on n'a que des "modérés rationnels". La logique serait de leur côté. Tout comme Aristote, grand logisticien, se référant à la biologie, "soutenait que les hommes étaient naturellement supérieurs aux femmes, et que les esclaves étaient biologiquement conçus pour servir les hommes libres", selon la norme de son temps.

" Tout ce qui est sans nom, qui n'est pas dépeint en images [...] tout ce qui est mal nommé en tant que quelque chose d'autre, est rendu difficile a appréhender, tout ce qui est enfoui dans la mémoire par l'effondrement du sens dans une langue inadéquate ou mensongère -cela deviendra non pas seulement tacite, mais indicible ".
Adrienne Rich - Poétesse et essayiste féministe

De la même façon que le féminisme s'est dressé contre l'idéologie patriarcale "idéologie dans laquelle la masculinité est plus valorisée que la féminité" et "qui existait depuis des milliers d'années avant que les féministes ne la nomment", en rendant visibles ses mécanismes oppresseurs et sa rhétorique, le mouvement social des végétariens* se dresse contre l'exploitation des animaux et son aboutissement : le carnisme.  En faisant cela, les deux mouvements rendent visibles des constructions sociales qui toutes deux se présentent benoîtement comme "naturelles" : les hommes mangent de la viande, c'est "normal, naturel et nécessaire", ils en ont besoin pour se res-taurer, les femmes sont "complémentaires" des hommes puisqu'elles font les petits, tout cela est donc "naturel", le tour est joué, circulez, il n'y a rien d'autre à voir ! Évidemment, en rendant visible l'oppression, les deux mouvements déclenchent de l'hostilité et la résistance de la forteresse assiégée !

Le carnisme, idéologie violente, invisible et antidémocratique, norme et matrice sociale, fonctionne sur des mythes

Le mythe des protéines animales, seules aptes selon la croyance carniste à reconstituer la masse musculaire est de ce fait soutenu par les hommes (mâles) qui l'associent à leur puissance musculaire alors même que l'on sait qu'il existe des champions olympiques végéta*iens. Et mythe à l'intérieur du mythe, "paradoxe à l'intérieur de toute idéologie violente : on doit continuer à tuer afin de justifier tous les meurtres déjà commis".
Mythe de la prolifération animale : si on arrête de les manger, les animaux vont "envahir" la planète ! Si, je vous jure, je le lis et l'entends ! Si on arrête de manger de la viande on arrête de faire se reproduire les MILLIARDS d'animaux d'élevage : l'envahissement vient de la production des animaux d'élevage pour la viande.
Mythe économique : si tout le monde devient végéta*ien, que vont devenir les milliers d'emplois générés par l'agro-industrie ? Figurez-vous que les végéta*iens mangent trois fois par jour eux aussi, et qu'il s'agit de réorienter l'agro-alimentaire vers d'autres productions végétales et de transformation des végétaux en substituts et plats cuisinés. Nous ouvrons un large champ de recherche à la R&D -Recherche et Développement-.
Mythe du libre-arbitre : nous naissons, vivons, mourons dans un monde carniste qui n'offre aucune alternative. "Les normes nous maintiennent dans le rang en nous montrant le chemin à suivre et en nous enseignant comment être adapté. Le chemin de la norme est celui de la moindre résistance". "En pratique et d'un point de vue social, il est bien plus facile de manger de la viande que le contraire. La viande est disponible partout, alors que les alternatives sans viande doivent être activement recherchées" et peuvent être difficiles à trouver. Le libre-arbitre est un trompe l’œil avec choix quasi inexistant.
Sauf à voir son steak comme un animal mort.


The Matrix : "Blue pill, red pill, you choose, Neo !". Comme la Matrice patriarcale, la Matrice carniste, système de pensée, construction sociale basée sur des mensonges ou une vérité dissimulée -essayez de rentrer dans un élevage hors-sol ou un abattoir pour voir-, nous maintient au sein d'un système aliénant invisible, donc inquestionnable.

Pour la mieux voir, on peut évoquer les victimes collatérales du carnisme, les premières victimes étant les animaux (pour celleux qui auraient vécu jusqu'ici dans un caisson hyperbare, allez voir le site de L214 pour savoir ce qui leur arrive vraiment dans l'industrie de la viande), l'holocauste auquel nous les soumettons : des milliards (10 milliards chaque année rien qu'aux USA sans compter les poissons jamais comptés individuellement, mais en tonnage) d'animaux élevés, maltraités puis envoyés à l'abattoir JEUNES, puisque nous ne consommons que des animaux jeunes. Puisque pour certain.es les animaux sont fait pour "être mangés, autrement, ils perdent tout intérêt" voici les autres victimes du carnisme :
- Les ouvrières et ouvriers des abattoirs : conditions de travail dangereuses et insalubres, rendements maximum exigés, sous-traitance au moins-disant social, travailleurs déplacés, violations des droits humains. Dommages psychologiques : engourdissement de l'empathie pour pouvoir continuer à tuer, avec les PTSD (syndromes post-traumatiques) non soignés qui s'ensuivent, car ils sont exposés sans arrêt à des situations de violence infligée aux animaux qui les obligent à dissocier leur personnalité.
- La planète et l'environnement : fortes émissions de GES contribuant au changement climatique, destructions de forêts primaires et dégradation des terres, destructions de paysages et déplacements de communautés autochtones, intrants polluant les cours d'eau et nappes phréatiques, la Bretagne paie ainsi un lourd tribut au carnisme en produisant des algues vertes enlevées l'été aux frais de tous les contribuables.
- La santé humaine : menace de virus provenant d'élevages concentrationnaires ayant franchi la barrière des espèces, résistance aux antibiotiques, épidémie mondiale d'obésité, cancers et autres maladies dites "de civilisation".
- La démocratie : syndicats d'éleveurs lobbies alors même que leurs effectifs baissent de 25 % tous les 10 ans, conflits d'intérêts, le lobby laitier et de la viande qui vont dans les écoles "évangéliser" les élèves et les maintenir dans la croyance carniste, syndicaliste-ministre, tel Luc Guyau, président de la FNSEA devenu ministre de l'agriculture pour ne citer que ce seul exemple. Aucun végéta*ien n'est représenté à l'Assemblée Nationale ni au Sénat.

S'ouvrir à la compassion envers tous les êtres vivants, sortir de l'engourdissement (numbing), refuser la dissociation de la personnalité, voir enfin les angles morts, devenir un témoin, PRENDRE PARTI, sortir des sentiers imposés du carnisme, sortir de la neutralité morale qui n'existe pas : "La neutralité aide l'oppresseur, jamais la victime" selon Elie Wiesel, prix Nobel de la Paix, "toutes les révolutions ont été rendues possible par un groupe de personnes qui ont choisi de se porter témoin et d'exiger que les autres se portent également témoins".

" Un jour, nos petits-enfants nous demanderont: "Où étais-tu pendant l'holocauste des animaux ? Qu'as-tu fait pendant ces crimes terrifiants ? Nous ne pourrons pas leur offrir la même excuse une seconde fois -dire que nous ne savions pas ".
 -Helmut Kaplan.

Ce billet n'est qu'un court résumé : lisez le livre de Melanie Joy !
Chapitre 1 : Aimer ou manger ?
Chapitre 2 : Le carnisme : "Ainsi va le monde"
Chapitre 3 : Les choses telles qu'elles sont vraiment
Chapitre 4 : Dommages collatéraux : les autres victimes du carnisme
Chapitre 5 : La mythologie de la viande : justifier le carnisme
Chapitre 6 : De l'autre côté du miroir : le carnisme intériorisé
Chapitre 7 : Se porter témoin : du carnisme à la compassion.

oOo

La forteresse assiégée se défend

Jeudi 30 juin, à l'appel du Collectif 269 Life, une nuit debout devant 30 abattoirs (sur 260 environ en France) a été organisée via les réseaux sociaux, et annoncée par un communiqué de presse dans la presse quotidienne régionale (PQR). En réaction immédiate le lobby de la viande, curieusement représenté par un syndicat agricole minoritaire la Coordination rurale, décide de s'inviter à cette nuit debout, pour faire bon poids face aux défenseurs des animaux avec le slogan "Touche pas à mon entrecôte". Décidément, ce slogan publicitaire né dans les années 80 aura été détourné par quelques combats d'arrière garde dont le désormais célèbre "Touche pas à ma pute" des anti-abolitionnistes de la prostitution.  Personnellement, j'ai participé à cette nuit debout devant l'abattoir SVA - Intermarché de Vitré. Aussi, arrivée dans les premières sur les lieux, je constate avec surprise que la Coordination Rurale occupe déjà en force le rond-point face à l'entrée de l'abattoir, et que les gendarmes sont également là, craignant la castagne ! C'est du moins ce qu'illes m'ont dit quand je les ai interrogé.es, après m'être garée à côté de la voiture bleue d'Europe 1 : j'apprendrai le lendemain que c'était François Coulon, correspondant pour l'Ouest, dont je n'ai pas reconnu la voix, qui était en face de nous une bonne partie de la soirée. Étaient là également Ouest-France, un représentant d'Interbev et un officier des Renseignements Généraux ! Les autres militant.es de 269 Life sont arrivé.es les dernières vers 21 H avec leurs paniers de fleurs, leurs bougies et leurs affiches représentant des animaux écorchés, des pièces d'abattoirs : de dangereuses terroristes, comme tout le monde a pu constater ! Les végéta*iens, difficiles à compter, mais dont on pense qu'illes sont entre 3 et 5 millions en France, représentés nulle part et surtout pas aux Parlement ni au Sénat, font PEUR ! C'est la conclusion qu'il faut tirer de cette expérience.

Les Coordination rurale nous ont enfumé.es avec leurs barbecues de saucisses grillées, la lecture du communiqué de 269 Life a été interrompue deux fois par des motards (à gros engins entre les jambes) qui sont venus faire rugir leurs moteurs en sur-régime et polluer le rond-point avec leurs gaz d'échappement, mais hormis ces dénis de prise de parole et de droit à respirer un air pur, il n'y a pas eu de violences. Au fond, on était plutôt flatté.es d'avoir dérangé autant de monde. Evidemment, le lendemain, Europe1 diffusait un "reportage" d'une minute et demie bien orienté carniste, et le philosophe "maison" Raphaël Enthoven nous traitait d'anthropomorphistes -SIC- en convoquant le ban et l'arrière ban du gratin de la philosophie viandarde patriarcale. Souhaitons à Raphaël Enthoven (moi je ne parie pas) une aussi longue notoriété que celle de Pythagore, philosophe - mathématicien antique ET végétarien !


Pour voir les photos incluses dans le tweet, chez moi, il faut cliquer une fois puis une autre fois pour pouvoir dérouler les images en format plus lisible.

* J'emploie le mot végétarien pour désigner l'ensemble des végétaliens et végétariens, ou je mets une * : végéta*iens.
Les citations tirées du livre sont en italique.

samedi 2 juillet 2016

Ainsi soit-elle - RIP Benoîte Groult

Le féminisme n'a jamais tué personne, le machisme, lui, tue tous les jours ".
Benoîte Groult - 1920 -2016


Benoîte Groult vient de disparaître à 96 ans : romancière, journaliste, et féministe française, elle n'a toutefois jamais été adhérente au MLF. A la demande générale d'une de mes lectrices blogueuse :D, La ligne 13, déplorant que les nouvelles générations de femmes ne la connaissent pas, j'ai cherché dans ma bibliothèque personnelle et j'y ai trouvé deux de ses livres : Ainsi soit-elle et Le féminisme au masculin, parus respectivement en 1975 et 1977. Ces livres sont toujours disponibles en édition de poche.

Ainsi soit-elle fait l'inventaire des torts causés aux femmes depuis le début du patriarcat (autant dire depuis la nuit des temps), des injustices infligées par les sociétés humaines à la moitié de leur population, à travers citations littéraires, description de traditions inamovibles, et une solide documentation basée sur des exemples tirés de la vie de tous les jours. Benoîte Groult y dénonce pour la première fois publiquement la pratique de l'excision. Ce livre est évidemment plus facile à lire que Le deuxième sexe, et même s'il comporte quelques anachronismes puisqu'il a 40 ans, il tient toujours la route et permet de se forger une conscience politique féministe, puisque contrairement à la pensée répandue que les femmes auraient tout gagné, le féminisme n'est pas un combat d'arrière-garde.
A lire ou relire, et faire lire, donc.
Dans Le féminisme au masculin, deux ans plus tard, elle rend gentiment hommage -ne nous fâchons pas avec les hommes- à ces quelques mâles précurseurs (notez que ce mot ne prend pas de féminin !) qu'étaient Poulain de la Barre, Condorcet, Stuart Mill, Saint-Simon et Charles Fourier qui, à contre-courant des préjugés de leur époque, promouvaient l'éducation des filles et l'égalité, conditions de tout progrès humain. Le livre ne fait que 183 pages, à ne pas reprocher à l'autrice, c'est juste que ce sont des oiseaux rares, des exceptions confirmant la règle ! Encore aujourd'hui, ces gars-là restent des curiosités anthropologiques ayant fait peu d'émules !

Alors qu'on te pensait éternelle, tu nous manques déjà Benoîte Groult, bretonne de cœur. Espérons que Clohars-Carnoët, ville du "Finistère, [t]on artère coronaire, celle qui mène droit au cœur " va vite donner ton nom à une de ses rues, ils te le doivent bien : Ainsi soit-elle y a été écrit, et dans ta belle préface, tu rends un superbe hommage à la Bretagne, terre de ton enfance et d'un de tes maris Paul Guimard, ton "chez toi" : "Je pars chez moi écrire un livre dont le sujet ennuie d'avance bien des gens..." ainsi commence Ainsi soit-elle.
" Comment peut-on être breton ?*
Comment peut-on être une femme ?
Car la féminitude est aussi une patrie ". Benoîte Groult

*Morvan Lebesque