vendredi 17 juin 2016

Harambe : spécisme, racisme et sexisme

Fin mai, au zoo de Cincinnati, un enfant de 4 ans échappe à la surveillance de sa mère et se glisse dans l'enclos du gorille Harambe : les témoins et le public autour se mettent à hurler et gesticuler de frayeur, alors que, dans un premier temps, le singe entoure de son bras les épaules de l'enfant ; de frayeur on imagine, voyant tous ces humains s'agiter, il prend peur et entraîne le petit garçon avec lui à l'écart après lui avoir rajusté son t-shirt et son pantalon. Puis, une balle lui a éclaté la tête. Harambe était un gorille des plaines d'Afrique Centrale et son peuple ne compte plus que 765 individus/personnes animales, dont quelques-unes dans des zoos comme celui de Cincinnati où Harambe, sexe mâle, est né en 1999. Son espérance de vie dans la nature était de 35 ans.


Le réflexe des dirigeant du zoos a été de tirer sur le gorille pour le tuer et délivrer l'enfant. Pas d'essayer de le distraire, de l'éloigner avec une lance à eau, ou des fruits qui pour lui sont des friandises, Harambe, gorille captif depuis 17 ans (âge de sa mort) a été traité comme King Kong, au délit de faciès, alors même qu'il est habitué aux humains depuis tout bébé, et qu'il a sûrement compris à quoi sert sa présence dans cette cage où du public vient le voir et lui lancer des cacahuètes en lui faisant des grimaces. Et notre espèce serait supérieure à la sienne ? D'ailleurs Jane Goodall, primatologue-éthologue planétairement reconnue, rappelant un incident de 1996 où une gorille avait mis en sécurité un enfant humain tombé dans son enclos, a écrit au directeur du zoo pour donner son sentiment : pour elle, Harambe protégeait l'enfant, sans doute possible. Ces primates sont des observateurs subtils, ils ne crient pas, et ne sont pas agressifs, même envers leurs congénères, selon ce passionnant article en anglais. Je précise aussi, que le gorille malgré ses canines et sa carrure  impressionnantes est un pacifique végétarien : tout cela lui sert à impressionner (favorablement) les femelles, les concurrents, pas à mordre ni à déchirer, ni à cogner. Et le personnel du zoo qui développe forcément avec le temps des relations affectives et sociales avec ces singes devrait être préparé à faire face, dans la non violence, à ce genre de situations !

Mais le rôle (problématique) des zoos est de "conserver" une espèce, au besoin sous forme de paillettes de sperme : en effet, Harambe est mort, mais son précieux sperme a été prélevé. La vie selon les zoos !
Le sort des individus au sein d'une espèce ne les intéresse pas. Ils font de la reproduction, en biologistes, en prélevant du sperme, en inséminant à la main des femelles non consentantes, (c'est que des bêtes, n'est-ce pas ?) pas ou peu réceptives, voire réticentes, comme on l'a vu avec les zoos à pandas chinois où ces animaux se reproduisent peu ou pas du tout. Car les animaux veulent choisir : l'insémination est une violence faite à chaque individu. L'élevage, même d'animaux sauvages, les patriarcaux au fond, ne rêvent que de ça : produire de la vie en éprouvettes, éliminer les aléas de la rencontre, du choix. Faire confiance à un animal libre, et à la nature, ils n'en veulent pas, ils préfèrent des banques de sperme et d'ovocytes. D'ailleurs la colonisatrice et invasive espèce humaine n'a pas l'intention de leur laisser de place : les espèces animales disparaissent d'abord de la destruction de leur habitat par l'espèce humaine, et ensuite du braconnage, puis pour le plaisir (chasse), pour la viande et enfin, pour... les zoos.

Après le spécisme, le racisme et le sexisme

Cette tragique histoire ne s'arrête pas là : les réseaux sociaux s'enflamment à propos de la mort d'Harambe, et, comme pour le meurtre de Cecil le lion dont j'ai parlé dans ce billet, mettent en accusation la mère du garçon qui a indirectement provoqué la mort du gorille. Les nom, photo et facebook de cette femme sont dévoilés et le bashing commence. Je crois qu'on peut même parler de lynchage social ! Sauf qu'il y a des différences entre le dentiste chasseur de lions (dont je n'approuve pas non plus le lynchage social) et la mère du petit garçon : l'un est un chasseur blanc capable de débourser 50 000 dollars pour une chasse au trophée dans le monde Tiers, et la mère de famille, femme noire, est elle, juste capable de débourser le prix d'entrée du zoo de sa ville pour elle et son enfant. Et elle ne tenait pas le fusil qui a tué Harambe ! Quand elle a déposé plainte contre le zoo, elle a été traînée dans la boue : en gros, elle fait des enfants, mais est incapable de les surveiller. Nulle évocation du père (?) et de son éventuelle responsabilité, il faut être deux pour faire un enfant, mais comme toujours en patriarcat, il y a aux femmes injonctions paradoxales : prière de donner la vie, mais ensuite on s'empresse de leur tomber dessus quand les choses ne vont pas comme ils veulent ! On ne reproche jamais rien aux pères. Racisme et sexisme. Après le spécisme dont a été victime Harambe.

J'ai eu honte pour les défenseurs des animaux, quand j'ai vu déferler la haine contre cette femme. Soyons claires, la cause des animaux, sujet éminemment juste, noble et politique, ne sera pas crédible tant que ses défenseurs (pro-animaux et véganes) se laisseront aller à de telles exactions, teintées de racisme et de sexisme. On ne peut pas défendre l'antispécisme (et Harambe a été victime des préjugés de notre espèce envers la sienne, donc de racisme spéciste, à ce titre le zoo ne lui a laissé aucune chance, c'est évident, son droit à la vie a été bafoué, comme avant son droit de vivre libre) en s'autorisant le sexisme et le racisme. Ou alors, c'est montrer qu'on n'a pas compris que l'un précède et  procède des deux autres. Et dans ce cas, notre combat devient illisible. Et la cause des animaux que nous défendons en pâtit.

Je préfère me battre pour un monde débarrassé du racisme, du sexisme et du spécisme, où les animaux seraient considérés comme d'autres nations autonomes, à qui nous laisserions la place qui leur revient (ils étaient là avant nous, pour la plupart) en arrêtant d'empiéter sur leurs territoires, un monde où les femmes seraient libres de leur destin, notamment reproductif, libres d'avoir ou pas des enfants, libres de se réaliser autrement, et d'un monde où l'espèce humaine serait en paix avec elle-même et avec ses voisins de planète. Où, du coup, les zoos animaux seraient une horrible relique du passé, tout comme les zoos humains le sont devenus, il y a moins d'un siècle.

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