vendredi 26 décembre 2014

Naître fille

La fête chrétienne de la Nativité célèbre la naissance d'un garçon. La naissance d'une fille est considérée nettement moins porteuse partout sur la planète. Pas de quoi la célébrer en tous cas. Imaginez que Marie ait mis au monde une fille :


pas de religion chrétienne (j'en entends dans le fond penser tout haut que ce ne serait pas une catastrophe), pas d'apôtres, pas de Vatican : imaginez en Judée il y a 2000 ans une fille, même charismatique, suivie partout par douze mecs, prêchant dans les rues, elle aurait été vite ramassée par la maréchaussée de l'époque, ramenée manu militari au foyer de son père, mariée de force et sommée de pondre pour renouveler l'espèce, pas de discussion. Et on n'en aurait pas fait une HIStoire, roman épique racontant ses exploits -Bible (Moïse), Evangiles (Jésus), Actes des Apôtres (Paul), Coran (Mahomet)... Les filles, c'est pas intéressant. Il n'y a que les hommes qui soient dignes d'un destin individuel, relaté ensuite sous forme de roman épique, la littérature en regorge. Et puis, faire la promotion des filles n'était pas le propos des fondateurs du Judaïsme, du Christianisme ni de l'Islam. Pas plus que du Boudhisme et de l'Hindouisme.

Eliminées à la naissance en Chine et en Inde, pour cause de dot, car considérées comme une charge,


échangeables comme du bétail au Moyen-Orient, assignées à l'esclavage domestique et sexuel dans les régions contrôlées par Daech et Boko Haram ces derniers temps ; j'ai mis ci-dessous un tweet de Samuel Etienne du 25 décembre 2014, rapportant un article de Causette sur les jeunes femmes Yezidies promises au viol et à l'esclavage sexuel si elles sont prises par les miliciens de Daech/EIL :

Forcée à la maternité et à la production de garçons sous peine d'être renvoyées dans leur famille, les filles ne valent rien selon les principes mortifères de patriarcaux au pouvoir partout. Il faut vraiment que nous soyons une espèce décadente et irresponsable pour ne donner que le choix de la guerre à des fillettes de 12, 13 et 14 ans, âge où elles devraient être en sécurité à l'école, et où l'avenir devrait s'ouvrir à elles. N'oublions pas non plus le sort fait aux Chibock Girls : les 219 jeunes filles enlevées par Boko Haram, que sans doute plus personne ne cherche, elles sont passées par profits et pertes de notre espèce sans compassion (les animaux en ont davantage), et si certaines réapparaissent, elles seront condamnées à un sort de parias, car elles seront soupçonnées d'avoir été violées par des sociopathes qui resteront impunis, j'en prends le pari. A l'heure où j'écris ces lignes, une majorité doit être enceinte ou mère sans l'avoir désiré.

Et pourtant qu'est-ce que les filles et femmes rendent comme services gratuitement : de corvée de bois et d'eau dans les pays en développement, spécialement le Sahel




elles s(er)ont les premières frappées par le réchauffement climatique selon le témoignage de Nicolas Hulot dans l'émission On n'est pas couché de samedi 20 décembre dernier, qui disait que désormais elles font 25 Km pour se réapprovisionner en eau, là où avant elles en avaient quasi sous les pieds. Une considération qui ne perturbera pas les dirigeants mâles des nations riches les plus carbonées et voraces : USA, Canada, Australie, Chine, France,... Elles sont aussi agricultrices nourricières de leur famille et de leurs enfants, sans accès aux terres, à l'équipement agricole ni aux prêts bancaires.

Mais chez nous me direz-vous, c'est gagné ? De bonnes écoles, des diplômes prestigieux qu'elles obtiennent car elles sont excellentes, bien meilleures que les garçons, et malgré cela des opportunités de carrière moindres, un accès à une douzaine de métiers essentiellement de service, toujours considérées comme salaire d'appoint du conjoint, comme variable d'ajustement dans les entreprises qui trouvent  normal de nous employer à mi-temps, et de nous renvoyer dans nos foyers lors des secousses économiques cycliques provoquées par ces parasites irresponsables que sont les spéculateurs, à peine tolérées dans les staffs de dirigeants des entreprises et des partis politiques, les femmes jouent les bouche-trous aux postes dévalorisés dont les hommes ne veulent pas. Et elles ont la charge du bien-être de tous dans l'abnégation la plus totale. Encore bien heureuse quand les coups ne pleuvent pas, car là il faudra affronter la maltraitance des "services" de police et de justice.

"Je ne suis personne. Qui êtes-vous ?"
Emily Dickinson poétesse américaine - 1830-1886.

Mais prenez bien garde : les filles auront leur revanche. Quand il sera trop tard pour une partie de l'humanité, sans doute, mais elles reviendront très fort. Il ne peut pas en être autrement.


Et ce jour-là, les filles sauront avec certitude qu'elles ne doivent RIEN à personne. Et elles décideront de maîtriser elles-mêmes leur destin. Pour le meilleur.


lundi 22 décembre 2014

Manger : c'est naturel ou culturel ?

Puisque (presque) à chaque fois que j'envoie un tweet sur le véganisme ou le végétarisme, j'ai droit à un mec -trader en général, ce métier qui n'a aucune utilité sociale, et dont la principale fonction c'est de plumer tout ce qui passe à portée :(- qui mecsplique que nous sommes des carnivores, son tweet accompagné d'une image de lion bouffant une gazelle puisque la bouffe c'est "rien que du naturel, la preuve, nous en avons besoin pour vivre et refaire nos forces" dixit le suprémaciste du haut de sa pyramide des espèces, tout en me détaillant par ailleurs toutes ses autres fonctions naturelles, excrétions comprises,((  pour que je comprenne bien, bouchée à l'émeri que je suis ; sachant d'autre part que nous abordons en ces fêtes de fin d'année une période de grande bouffe, en général trop grasse et trop riche en chair animale, quitte à jeûner ensuite pour perdre les "kilos superflus", selon les slogans contradictoires de l'Industrie agro-alimentaire, voyons voir un peu de quoi il retourne.


Dans Le Royaume, Emmanuel Carrère aborde furtivement les rites de nourriture juifs qui refusent les pratiques des païens qui les entourent : le peuple juif, opprimé par l'occupation romaine (nous sommes en Judée au temps du Christ), mais auto-proclamé "élu" par son dieu unique, trouve aussi, à table, une façon de se démarquer des "gentils". En effet, apprend-on, les temples païens sont en fait de prospères boucheries qui revendent la viande des animaux sacrifiés aux dieux, leur permettant ainsi un apport substantiel de chiffre d'affaires, pendant la religion, le business continue, c'est une vieille histoire, il faut bien payer le personnel et les frais généraux. Ainsi, les Juifs pour affirmer leur singularité ont-ils inventé leurs propres rituels, hors, surtout hors de ces antres de paganisme que sont les temples des dieux romains. Choisir ses rituels, c'est bien une affirmation de la culture, de la mémoire, de la fidélité à une histoire. Le lion, même celui habitant en terre convertie par l'épée, ne fait pas de signe de croix sur sa gazelle avant de commencer à festoyer, comme on faisait dans les campagnes chez moi, sur la miche de pain avant de l'entamer. Pas plus qu'il ne fait de mines parce qu'elle n'a pas été tuée exactement comme prescrit par ses pères lions avant lui. Le peuple Juif aurait pu se démarquer vraiment en adoptant le végétarisme, mais il a préféré chipoter sur les règles et façons d'abattage, tant pis, encore une occasion ratée. Dominique Louise Pélegrin dans ses Stratégies de la framboise compare les façons de table des germains, peuples du Nord et des romains, peuple méditerranéen :

Il fut un temps où on ne mesurait pas les forêts en hectares, mais selon le nombre de cochon que l'on pouvait y nourrir. Exemple : "j'ai une forêt de 30 cochons". A la même époque ou un peu plus tard, on mesurait les potagers en choux, [...] on comptait un chou par jour et par famille. 
Voilà résumées deux conceptions de la nourriture, héritées d'un très lointain passé, mais qui continuent de nous travailler. L'une vient tout droit de l'Antiquité : un idéal de modération à base de légumes, d'huile d'olive, de pain et de vin. Bouillies de céréales, légumineuses, plus un peu de fromage, rien de trop. Pour les Romains, les céréales, les légumes, la vigne ont de la valeur parce qu'ils sont cultivés par l'homme. Ils sont la civilisation. 
Dans l'autre vision, plus sauvage et jouisseuse, l'important, ce sont ces fameux cochons élevés sous les arbres, dans toute l'Europe, en compagnie de bovins prêts à rôtir et à bouillir eux aussi. Il suffit de s'en saisir pour préparer une sacré ventrée agrémentée de baies sauvages cueillies à la diable, de champignons, bref, de tout ce qu'on trouve à foison dans la forêt. Pour faire passer ça, du cidre, de la bière et du lait : c'est le style germain. L'image d'Attila, le fléau de Dieu, traversant nos livres d'histoire au galop avec un gros steak qui surit sous sa selle -mais avait-il une selle ?- nous donne de ce courant-là une vision extrême mais ô combien fascinante. 
Autant les romains détestaient les forêts et les lieux incultes, autant les Germains les considéraient comme leur garde-manger personnel. Chacun, évidemment, est le barbare de l'autre : d'un Goth goulu, les Romains se moquaient en disant qu'il n'avait jamais goûté de salade. D'un évêque trop ostensiblement sobre, les Nordiques refusaient l'autorité, affirmant qu'il n'était pas un homme. D'un côté le comportement viril consiste à garder la maîtrise de soi. De l'autre, il s'agit de manger le cochon entier, le plat avec, plus quelques hectolitres de bière, le tout sous les applaudissements, car on admire celui qui peut ingurgiter plus que les copains. 
On remarquera que, d'une certaine manière, ces antiques visions de la nourriture perdurent. Les héritiers des Romains prônent les régimes "crétois", "macrobiotiques", à base de salades et de légumes biologiques arrosés d'un filet d'huile d'olive, ils affectionnent le poisson à la vapeur et s'efforcent d'avoir un rapport maîtrisé à la nourriture. S'ils boivent du vin, c'est modérément, ils apprécient les jus de fruits et la tisane. Le légume, la crudité sont leur cheval de bataille face à la crise de la vache folle. 
En face, les mangeurs de fast ou de junk-food, adeptes de la trilogie ketchup-hamburger-frites ornementée de glaces, de barres chocolatées et de bières. Un énorme appétit tout en méandres et en caprices, qui conduit par exemple les jeunes américains à manger plus de.... 20 fois par jour, le congélateur familial faisant office de forêt sauvage, avec ses proies variées à disposition. Evidemment, ce n'est pas si simple : selon les circonstances, la majorité d'entre nous se range tantôt du côté romain, tantôt du côté germain."

Françoise d'Eaubonne* se remémorant la Bible qui dicte la loi aux croyants, écrit "Ce n'est en rien un hasard si Yahvé, le premier dieu sans déesse, préfère ce boucher d'Abel lui offrant des bestiaux égorgés au doux Caïn cultivateur ; surprise, ce sera Caïn le fratricide !"
Où comment raconter l'histoire en faisant passer des messages carnophallogocentrés appuyés.

Le Notre Père, prière principale des Chrétiens, demande à Dieu de nous "donner chaque jour notre pain quotidien", il ne parle pas de notre viande quotidienne. Je pense que cette prière reflète bien la préoccupation principale et très ancienne de l'humanité (hors notre période actuelle d'abondance et de gaspillage qui dure depuis 60 ans tout au plus, et encore, pas partout !) et qu'elle est plus vieille que le Christianisme, ou même le Judaïsme. Elle demande à la Terre, notre déesse-mère nourricière de produire des récoltes suffisamment abondantes pour que nous puissions nous nourrir, simplement et même frugalement, de pain. Les vieux pères se la sont tout bonnement appropriée, comme tant d'autres choses venant des spiritualités anciennes.

Manger chez les humains, c'est de la mémoire (de bons et mauvais souvenirs), de l'affect, ça raconte notre histoire collective et individuelle -la cuisine de la personne qui nous a nourri-es durant l'enfance à laquelle nous restons tant attaché-es-, le tout enveloppé de rites sociaux. Bonnes fêtes de fin d'année : solstice d'hiver ou Noël et Jour de l'an.

Liens : L'humain est-il omnivore ?
Faut-il manger les animaux ? Mon résumé du livre de Jonathan Safran Foer
Mon billet La part du lion : consommation différentielle en patriarcat tiré du tome 1 de L'enemi Principal - Christine Delphy.

* Dans Le sexocide des sorcières, 1999.
L'illustration représente une enseigne de boucherie qui a disparu mais qui a réellement existé : elle se situait Rue des Patriarches à Paris.

dimanche 14 décembre 2014

Witchburning - Bûchers de sorcières

A l'heure où les religions obscurantistes reviennent à fond la caisse, alors qu'on les croyait affaiblies pour longtemps, et où elles sont présentées comme humanistes (voir tous les journaux de France 2 et TF1 qui font régulièrement la propagande du Pape actuel, Jorge Mario Bergoglio), il est utile de rappeler que rien n'a changé. L'église de Rome, à travers les discours de son pontife, glisse dans ses phrases doucereuses, prêchant la charité et l'amour du prochain, que les femmes sont complémentaires de l'homme et que leur corps appartient à ces derniers, ou au moins à l'humanité entière, mais pas aux femmes elles-mêmes. L'infériorité des femmes et leur contrôle indispensable, ce mantra des religions à dieu mâle, qui au fond, nous craignent. De fait, ils haïssent l'humanisme qui revendique la liberté individuelle et le droit à l'auto-détermination indépendamment de toute croyance, par définition non démontrée et non démontrable. Les hiérarchies masculines des religions sont à l'oeuvre derrière le rejet buté de l'égalité femmes-hommes, du droit des femmes à disposer de leur corps, du mariage pour les gays et lesbiennes, et ces jours derniers, d'une loi sur la fin de vie (avec l'aide active du lobby des médecins). Dans un pays largement déchristianisé, il ne faut pas minimiser leur pouvoir de nuisance. Il est donc utile de rappeler de quoi elles ont été capables, dans toute l'Europe pendant 4 siècles, notamment vis à vis des femmes "diaboliques", insoumises à leurs diktats haineux.


"Ils n'ont plus à lyncher les femmes
très souvent ces derniers temps, alors qu'ils avaient coutume de le faire
-le seigneur et ses hommes écumaient les villages la nuit, battant et
tuant toute femme surprise hors de sa maison.
Les tribunaux européens de sorcellerie enlevaient les gens indépendants ; dans deux villages
-à la fin des procès cette année-là- il restait une femme vivante.
une."
Judy Graham dans A woman is talking to death

"Répétez les syllabes
avant que la leçon se répande dans le cerveau :
Margaret Barclay, lapidée à mort, 1618.
Peronette, assise de force sur une tige de métal brûlant, torturée
et brûlée vive, 1462.
Soeur Maria Renata Sanger, vice-prieure
du couvent des Prémontrés d'Unter-Zell
accusée d'être lesbienne ;
le document certifiant sa torture
porte le sceau des Jésuites,
suivi des mots Ad Majorem Dei Gloriam-
Pour La Plus Grande Gloire de Dieu.

Que nous ont-ils fait ?
Robin Morgan - Lady of the beasts

La place d'une femme est dans un filet tissé serré
Elle est enchaînée comme un chien à sa niche.
Mais si par chance ou destin, elle arrivait à s'en échapper
Elle est une menace pour les gardiens de la tradition.
Aussi, si vous avez le don de guérison mais avez oublié comment faire une génuflexion
Soyez prête pour une Inquisition infligée de main d'homme
Willie Tyson - The Wiching Hour


BURNING WIFE
I was born in a world where men  power's strong
Nothing but a wife, less then animals
They've burned my face, burned my flesh,
Corroded my flesh, acid on my face
Reduced to slavery, I've got nothing else to say
Rebellion is a crime, soon to be burning wife.

Grind band BLOCKHEADS - Album Shapes of misery - 2006


Les deux autres religions révélées et leurs différentes sectes et sous-succursales, ne sont pas en reste dans le rabaissement des femmes, éternelles tentatrices, supposées demeures du serpent et de ses maléfices. Ils ont historiquement brûlé ou noyé des dizaines de milliers de femmes : ce ne sont pas des légendes, et il faut que ce soient des femmes qui aient été victimes pour que cela soit considéré comme un passé définitivement remisé dans la poussière des siècles : mais leur inimitié est restée intacte. Et puis les enlèvements de femmes pour satisfaire les besoins sexuels de soldats perdus, fanatisés, femmes traitées en chèvres échangeables comme dans n'importe quelle foire agricole, dans d'autres parties du monde, témoignent que ces "systèmes de pensée" sont à combattre avec détermination et sans concession.
On peut lire avec profit le petit ouvrage de Françoise d'Eaubonne, très inspirée sur le sujet : "Le sexocide des sorcières - 1999 - L'esprit frappeur.


Liens : Dans la Russie de XXIè siècle, ex pays communiste athée, la religion orthodoxe reprend des couleurs : Cyrille (Patriarche orthodoxe de Russie) le bras religieux du nationalisme de Poutine. Le nationalisme, un autre obscurantisme.
Les noces barbares de Daech : 4000 femmes Yezidies servent d'esclaves sexuelles - Par Annick Cojean.
The persecution of the witches was a manifestation of the rising modern society - Maria Mies - En anglais - 3ème chapitre de Patriarchy and capital accumulation on a world scale. 1986 

lundi 8 décembre 2014

Biocide en cours - Le règne du vivant par Alice Ferney


"La cité des hommes, jadis une enclave à l'intérieur du monde non-humain, se répand sur la totalité de la nature terrestre et usurpe sa place"
Hans Jonas - Philosophe - Le principe de responsabilité.

Anthropocène : La puissance humaine égale celle des temps
géologiques ; nous sommes devenus une force géophysique agissant sur la planète.

"Les coffres forts de nos banques sont mieux protégés que l'Océan Austral qui est pourtant notre poumon principal".
"Il existe parmi les hommes des barbares qui aiment verser le sang, des brutes qui assouvissent sur les bêtes un besoin de tuer. On ne peut plus l'autoriser. De tels actes relèvent du crime".
[les baleines] "sont d'énormes mammifères qui mettent très longtemps à mourir".
"L'homme est une sale bête, et une bête sale".
"Nos descendants nous maudiront".
"Réveillerons-nous les défenseurs ? Il le faut. Sans quoi la Terre sera bientôt vide. Humains et non humains auront disparu. Car leurs sorts sont liés. Voilà ce que nous répétons à un système qui s'est emballé et fonce vers les dangers qu'il a programmés.

Toutes ces citations sont dans Le règne du vivant, roman d'Alice Ferney, Actes Sud Editeur. Des activistes environnementaux sillonnent les mers australes et les glaces de l'Arctique où ils traquent, dans ces lieux de non droit, les voyous des mers et des océans équipés d'engins de guerre (harpons à têtes explosives, localisation par sonar et satellite géo-stationnaire), qui massacrent au nom de leur profit le plus immédiat, les requins, les poissons et les mammifères marins, même dans les sanctuaires et les réserves marines qui leur ont été concédés. Les gouvernements et leurs polices corrompues averties, arrêtent.... les militants écologistes. Bien que les noms ne soient pas les mêmes, il est difficile de ne pas reconnaître dans les héros de ce roman les militants de Sea Shepherd et dans le héros principal, le capitaine Paul Watson, qui  se mettent entre les prédateurs humains et les requins, les dauphins et les baleines, et après les sommations d'usage alertent les polices nationales qui n'interviennent pas. Équipages de bénévoles, cuisine exclusivement végane à bord, rôdés aux campagnes de guérillas marines et aux techniques de communication de masse, ils prennent tous les risques sans jamais se mettre hors la loi pour sauver les animaux marins et les océans du globe, alors que les gouvernements et les forces de l'ordre sont aux abonnés absents. C'est un beau roman magnifiquement écrit : lisez-le de toute urgence. La planète est en péril et  nous n'en avons pas de rechange.


Voici le très beau texte du préambule, écrit par le journaliste norvégien Gérald Asmussen, principal témoin :

"Avant de m'asseoir pour consigner cette histoire, je l'ai vécue. J'ai vu se lever l'activiste et croître sa détermination. Que pourrais-je faire ? se demande un homme qui contemple un désastre, et c'est le commencement des miracles. J'ai suivi pareil homme, refoulé pareille colère, rêvé pareil renouveau : j'apercevais le même désastre.
Avant de revenir dans la chambre de mon enfance, dans la maison de ma mère, à K, j'ai vu le monde. J'ai couru les océans sans loi, ces pâturages liquides pour lesquels je n'étais pas fabriqué. Je ne m'y trompais pas, l'homme appartient à la terre, les eaux vivantes n'ont pas besoin de lui. J'avais pourtant besoin d'elles, comme on désire l'éternité au lieu de la mort, le ciel au lieu de l'enfermement, et sentir au lieu de penser.
J'ai réclamé les eaux profondes, j'ai respiré leur haleine salée, scruté les ténèbres de leurs nuits immenses. J'ai fréquenté l'esprit des flots. J'ai appris leur géographie et leur langage. Les courants et les vents ont livré pour moi leurs secrets : toute la circulation du froid et du chaud entre les pôles et ce grand foyer électrique qu'est l'équateur. J'ai imaginé ces fondations du monde à travers les millions d'années : leurs épilepsies, leurs accalmies, le long mariage de l'océan primordial et de ses rivages. Tout avait commencé là. Les mini-météorites, tombées de l'espace dans ce bain originel, avaient apporté les acides aminés, robots minuscules capables de se répliquer. Parfois une erreur survenait : une nouvelle forme apparaissait. La diversité était en route. Notre monde se composait, fabuleux, inconcevable, à couper le souffle. J'ai bu sa splendeur comme un cordial. J'ai reçu les frissons, les inquiétudes, les ivresses, les joies. La haute mer surpasse la terre dans les impressions qu'elle suscite. Peur, liberté, émerveillement ont dans cet inhabité aussi peu de limites que l'air, l'eau ou le temps. Je me suis abandonné aux heures et aux lieux. J'ai atteint les confins de notre espace. J'ai contemplé la beauté des mers circumpolaires où vivent ceux des animaux qui aiment se tenir éloignés des hommes. Je me suis éloigné avec eux, et aux questions de ma raison j'ai ajouté les questions de ma rêverie.
J'ai vu des murailles, des arcades, des fosses, des blocs de brume, des jambages de nuées, des trombes, des cataractes. J'ai contemplé des eaux turquoise et des couronnes de verdure, des archipels volcaniques, des épaisseurs de neige, des effondrements de parois, des réverbérations miraculeuses, des labyrinthes et des châteaux de glace. J'ai vu les veinures bleues dans les faces des grands icebergs, là où l'eau s'apâlit autour de ce qu'elle couvre. J'ai deviné l'étreinte mortelle de la banquise en hiver, j'ai senti sa présence d'obstacle. J'ai connu la surprise des harmonies australes, la lune jaune et l'océan comme de l'argent fondu, le ciel rose comme une fleur de fuchsia.
J'ai écouté des souffles, des murmures, des plaintes, des passages d'oiseaux, des sauts, des plongées, des chants nuptiaux. Je me suis inscrit dans le mouvement fluide des créatures de ces lieux. J'ai filmé des chevauchées, des cabrioles, des caresses et des dévorations. J'ai envié les iguanes marins réchauffant leur peau hérissée à la chaleur des roches. J'ai applaudi la course des manchots, noir et blanc comme des pies, semblables à des torpilles vivantes dont les bonds surfilaient l'eau. J'ai fait silence, j'ai retenu mon souffle à l'apparition des baleines. J'ai senti la puissance du dauphin dans la valse éternelle de l'eau et la densité de sa chair musculeuse sous le lustre gris de sa peau. La vitesse faisait partie de lui comme la pensée faisait partie de l'homme. J'étais un être cérébral. Je me découvrais dans ce contrepoint. J'ai admiré ces aptitudes que je ne possédais pas. J'ai rêvé des cachalots qui remontent des profondeurs, verticaux comme des plongeurs. J'écoutais le grincement de leurs dents. J'ai suivi jusqu'à l'horizon le vol des pétrels et leur hennissement m'a saisi. J'ai vu la vie habiter toutes les formes, s'accomplir et se transmettre à travers elles, tenace, résistante, sauvage, et mourir les individus qui l'enfermaient.
J'ai cherché les grands poissons, les mérous géants, les espadons, les requins monstrueux. Ils avaient disparu. J'ai regardé la mer intouchée et la mer épuisée. Au cœur du Pacifique, dans le nœud de ses courants vers le nord, j'ai filmé la grande décharge du monde : sur trente mètres de profondeur un continent de plastique, sacs, bidons, bouteilles, de toutes les marques, dans toutes les langues et de toutes les couleurs. Jusque dans ses espaces inatteignables, le globe terrestre devenait l'égout des hommes. J'ai recherché le vide et le silence, je fuyais ce monde en croissance. J'ai pisté ses destructeurs. J'ai traversé les sanctuaires et poursuivi les braconniers. J'ai vu la violence de l'homme industriel se jeter sur la richesse des mers, ses mains de fer mettre à mort les plus gros, les plus rapides, les plus formidables prédateurs. J'ai vu les grands chaluts ramasser en aveugle une faune inconnue. J'ai su de quoi les humains sont capables. J'ai redouté ce qu'ils font quand ils se savent invisibles, en haute mer, sur la banquise, dans le face-à-face sans mot avec les bêtes à leur merci. J'ai combattu l'horreur : les tueries, les mutilations, les dépeçages, l'entassement des cadavres. J'ai vu mourir noyées dans leur sang des baleines qui criaient comme des femmes. On nous disait qu'elles n'avaient ni âme ni langage. Leur conscience d'elles-mêmes traversait l'onde et vrillait mes oreilles. Ces proies inoffensives et tendres, je ne doutais pas qu'elles eussent une intériorité. Je connus leur valeur et leur fragilité. Nous leur devions une protection. Loin sur l'eau, dans les immensités sans côtes ni havres, à écouter la voix du vent, à regarder le lent gonflement des vagues, ou bien la mer couchée que la tempête met debout, je me suis senti à la fois insignifiant et responsable. Quel usage faisions-nous du monde ? La question s'est levée comme une vague qui m'a submergé.
Avant de consigner par écrit cette histoire, je l'ai filmée, close et tragique : les patiences et les attentes, les longs appareillages, la peine et l'ennui, la quête et le découragement, la bataille et la victoire, le danger, la peur et la chute. Je suis peut-être le témoin d'un meurtre. Je détiens des images. Les polices du monde austral me recherchent-elles ? La grande mafia d'Asie me traque-t-elle ? Je suis dans la maison de ma mère à K. Côtes de Norvège. Qui viendrait me chercher là ? Je suis le petit-fils d'un fameux harponneur. Je porte son nom et le même prénom. Quel meilleur camouflage ? J'attends celui qui me trouverait. L'énergie du combat ne doit pas s'éteindre. J'ai conservé tant de tristesse. Ma mémoire obstinée est émue. Je voudrais ne rien oublier. Je pense à ce qui s'est passé. Qu'y a-t-il de différent à l'écrire ? Je serai dans mes phrases, je choisirai chaque mot, tandis que les films ne capturent que le fait visible et le présent. Je remonterai le cours des choses, je révélerai les corruptions, les infamies. J'éclairerai la prédation du monde, l'arrogance et la cruauté des hommes, leur insatiable cupidité. La mer est trop magnanime. Que fait-elle ? Me suis-je souvent demandé. Pourquoi les vagues ne se cabrent-elles pas ? Pourquoi n'envoient-elles pas par le fond tous les navires hors la loi qui la violent ? Nous avons poursuivi les chasseurs pirates, les tueurs, ces bandits qui rejetaient vivants les requins mutilés, les tortues asphyxiées par les filets, les oiseaux aux ailes brisées. Ils nous ont envoyé leurs sbires. Au moment de commencer ce récit, épopée d'un homme convaincu, je n'aurai pas la pudeur de l'océan qui engloutit les crimes, je ne serai pas l'eau dans laquelle se disperse le sang versé. Je ferai appel à tout mon mauvais caractère".
Gérald Asmussen, caméraman à bord de l'Arrowhead, septième campagne antarctique."

Opération ICEFISH, la campagne 2014-2015 expliquée par le Capitaine Peter Hammarstedt pour Sea Shepherd. Sous-titres en français.



Liens : Comment les lobbies ont gagné sur le dossier de la pêche en eaux profondes
La BD de Pénélope Bagieu pour BLOOM Association
Le plaidoyer écologique d'Alice Ferney dans Sud-Ouest
Le dossier du Dauphiné Libéré sur la CBI -Commission Baleinière Internationale.


mercredi 3 décembre 2014

Challenges vous conseille d'épargner, Mesdames !

Quand j'ai ouvert mon compte Twitter, j'ai trouvé indispensable de m'abonner aux comptes de la presse économique en plus d'une sélection de comptes de la PQN (Presse Quotidienne Nationale). J'ai donc pris Les Echos et Challenges, et je reçois régulièrement des liens vers leurs articles. Bien m'en a prise : la semaine dernière, j'ai cliqué sur un lien édifiant, genre quadruple peine pour les femmes. Ou comment les patriarcaux se paient notre tête en toute impunité. Je vous résume l'affaire. Sachant, selon Challenges, appuyé sur une enquête HSBC (un bankster de volée internationale qui ne s'intéresse aux femmes que pour récupérer un peu de leur pognon, en l'occurrence), sachant donc que :

Les femmes, c'est à vie MOINS 19,3 % de salaire que les hommes (à niveau de postes et responsabilités égales, diplôme généralement supérieur, faut-il le rappeler ?), que du coup (mais il faut aussi rajouter les mi-temps "choisis" -tu parles !- ou non, et la précarité qui plombent les carrières des femmes et dont bénéficient les boîtes car cela les rend flexibles), leur retraite moyenne est de 833 euros par mois contre 1743 euros pour les hommes, que d'autre part, la part de leurs revenus consacrée aux dépenses quotidiennes du ménage est de 54 % contre 40 % pour les mecs qu'elles ont épousé, et qu'enfin, malgré toutes ces avanies, elles vivent 6 ans de plus en moyenne que les mâles, je vous le donne en mille, quelle est la solution proposée par Challenges ??? (Ils ont oublié l'âge de la Capitaine, mais vu l'exposé de l'étendue de la cata, c'est peanuts finalement) :

ÉPARGNEZ DAVANTAGE, MESDAMES ! 

Si ! Heureusement qu'on a Challenges pour nous dire à quoi nous "avons intérêt" dans la vie : nous "devons donc faire face à des besoins plus importants pour financer nos vieux jours" mais avec moins de moyens, hein Challenges ? Car du coup, pressurées, injustement mal payées et précarisées, nous n'épargnons QUE 63 euros par mois en moyenne, contre 110 euros pour les hommes français pour nos retraites, le cercle vicieux. Bon, donc, quand vous avez rapporté à la maison votre salaire de misère, en tous cas avec une différence injustifiable, sorte d'impôt patriarcal, que vous avez nourri tout le monde avec vos seuls deniers -acheté leurs indispensables côtes de bœuf "car ils font du sport, eux"-, il vous reste à jeûner pour mettre quelques sous de côté pour votre retraite. Serrez-vous la ceinture, bandes d'imprévoyantes, Challenges dixit. Pas un instant, la responsabilité des parasites des femmes que sont la société, le(ur)s employeurs, leurs conjoints, ne sont mis à contribution, priés de revoir leurs comportements inégalitaires et injustes, les femmes sont taxées d'imprévoyance et de légèreté. Double standard, double peine, et foutage de gueule en plus. Si vous ne me croyez pas, pour aller lire l'article de Challenges, il faut suivre ce lien.

Rappel : Mi-temps = demi-salaire = demi-chômage = demi-retraite. Chacune fait comme elle veut, mais moi je vais aller hacker deux ou trois trucs de banquiers ou d'autres, pour me calmer les nerfs : je ne sais pas encore quoi, mais je vais trouver en chemin. Comptez sur moi. Je trouve que j'y ai "intérêt" pour parler comme Challenges.